Vers un système où le cerveau humain est à la base des échanges
« Il faut étudier, obtenir des diplômes, accumuler un maximum de connaissances pour réussir sa vie ». Cette phrase que chacun a pu entendre à plusieurs reprises révèle un phénomène particulier : notre société nous pousse vers une quête infinie de la connaissance. Nous vivons dans l’ère du « capitalisme cognitif », « l’économie de la connaissance » ou de la « knowledge economy » pour les start-upers. Sous ces appellations se cache une idée simple : c’est votre capacité à mémoriser et transmettre des informations qui pourra vous faire grimper dans l’échelle sociale de demain.
Technologie, innovation et connaissances : les maîtres mots de la dernière révolution industrielle.
Les mots « Révolution industrielle » font remonter de vagues souvenirs des cours d’histoire du collège, à propos de la machine à vapeur, l’Angleterre industrielle et le développement des chemins de fer. Nous n’avons pourtant pas le recul nécessaire pour considérer l’explosion des technologies durant les années 90 comme une autre révolution. Internet, les smartphones, les robots ou encore les réseaux sociaux sont des innovations ancrés dans notre quotidien mais qui résultent d’un long processus de réflexion : repérer un problème, trouver la solution, développer cette idée, la discuter avant de la transformer en un produit fini. Si des compétences techniques sont évidemment nécessaires pour achever ce type de projet, la connaissance, elle, est le premier maillon de la chaîne. Idriss Aberkane, auteur du best-seller Libérez votre cerveau et fervent défenseur de l’économie de la connaissance, assure que ce modèle assure un développement durable, car chacun peut apporter sa contribution : il suffit d’utiliser sa tête. A l’image de la Corée du Sud qui a créé un Ministère de la Connaissance, de nombreux pays peuvent envisager de basculer vers cette économie. Alors que notre système actuel se base sur l’exploitation de matières premières, épuisables et souvent polluantes, l’économie de la connaissance s’inscrit dans la durabilité : le savoir est infini, son exploitation est donc beaucoup plus écologique.
Cette économie se met déjà en place puisque le « marché du savoir » est très disputé par les puissances actuelles. Cela se traduit par des investissements en R&D –Recherche et Développement–, dans le système éducatif, et tout ce qui gravite autour des « cerveaux de demain ». Ce n’est pas pour rien que les start-up, incubateurs de talents et autres structures se développent : on déniche les personnes les plus audacieuses et créatives afin qu’elles puissent prendre la tête de projets novateurs et « révolutionnent » un secteur en particulier. Un exemple parlant est celui d’AirBnB : l’entreprise est fondée en 2008, à San Francisco par Brian Chesky, Joe Gebbia et Nathan Blecharczyk. Son service, novateur, permet de louer des logements de particuliers à particuliers. À l’origine financée par l’incubateur d’entreprises Y Combinator, elle a pu se faire connaître et pèse 13 milliards de dollars en 2015.
Une économie certes nouvelle mais aux défauts classiques…
Le problème premier de cette économie réside dans la propriété intellectuelle. Avoir des idées, oui, mais comment prouver qu’elles sont siennes ? Comment prouver que quelqu’un ne les a pas usurpées ? Le système de brevets pose parfois problème : Joseph Stiglitz, Prix Nobel d’économie, soulignait que les brevets entravent souvent la diffusion dans les pays émergents ou peu développés de biens ou de savoirs, ce qui accentue des inégalités déjà existantes. Par ailleurs, ce sont ces mêmes pays qui subissent le « brain drain », ce phénomène où les étudiants les plus prometteurs préfèrent migrer en Amérique du Nord ou en Asie du Sud-Est plutôt que développer l’économie de leurs pays natals.
Se pose également le problème des laissés-pour-compte : cette économie favorise les étudiants en école de commerce, de communication ou de journalisme, où l’on apprend à trouver des idées mais surtout à se vendre : quid des autres filières ? L’accumulation de la connaissance est inutile si l’on ne sait pas se mettre en avant en « pitchant » des idées ou impressionner lors des entretiens d’embauche. Des étudiants pourtant qualifiés peinent à se faire une place dans ce nouveau système parce qu’ils n’ont pas les « soft-skills » nécessaires : comprenez, par cet anglicisme, qu’ils ne savent pas montrer l’étendue de leur savoir-être, autrement dit qu’ils ne sont pas assez à l’aise ou confiants aux yeux des entreprises. D’un autre côté, le postulat de cette économie exclut d’office toute la main d’œuvre industrielle dont les compétences techniques ne sont pas fortement valorisées. Cette pression constante concernant les études est celle qui pousse de nombreux étudiants dans les bras de la dépression, parce que leurs cerveaux ne sont pas assez affranchis.
Cette économie de la connaissance est ainsi loin d’être aussi idyllique et parfaite qu’on le croit. Loin de la disruption vantée par les médias, elle semble la continuité du libéralisme actuel où l’on favorise les capacités individuelles de chacun et la compétition au détriment de leur santé mentale. Cette quête de la connaissance est une lutte contre le temps qu’il faut toujours optimiser, contre les autres qu’il faut toujours dépasser, contre soi-même car il faut sans cesse surpasser ses limites. Si notre cerveau est puissant, intriguant et brillant, notre corps humain est loin d’être aussi optimal que les machines que nous inventons…
Yasmine A.M