L’intégration et scolarité des personnes handicapées

La question du handicap est encore très peu abordée en France, que ce soit en matière d’intégration ou d’emploi/études. Si de nouvelles lois passent quant à l’emploi ou à leur participation dans la vie citoyenne, beaucoup de zones d’ombres persistent sur les difficultés quotidiennes que rencontrent nos concitoyens.

Peux-tu te présenter en quelques mots ?

Je m’appelle Lola j’ai 21 ans et suis étudiante en 2ème année d’éducatrice spécialisée ainsi qu’en licence de psycho. J’étais dans un lycée pour sourds et malentendants et troubles du langage, car j’avais du mal à suivre correctement dans un établissement classique puisque je suis malentendante.

Quelles différences as-tu pu analyser entre l’enseignement dans le public et l’enseignement privé spécialisé ?

Dans l’enseignement public tu avances ou bien tu pars. Soit tu es handicapée soit tu ne l’es pas. Je n’aurais jamais pu être en Unité Pédagogique d’Intégration (UPI) puisque je n’étais « pas assez handicapée ». Ça aurait été trop compliqué. On parle d’intégration des UPI, mais c’est seulement physique, il n’y a pas de mélange. Donc j’étais dans des classes à effectifs normaux. J’avais du mal à suivre car chaque bruit de fond me déconcentre. Tandis que dans l’enseignement privé spécialisé, nous sommes à effectifs très réduits (5-6 par classes). Bien sûr il est plus facile de suivre, les techniques d’enseignements sont adaptées mais la question du handicap est trop présente. Surtout en classe de français, moins en mathématiques ou en sciences. La différence se fait en matière de communication, nous avions près de neuf heures de français par semaine en quatrième. Ils partaient du fait que nous étions plus lents que les entendants, c’est vrai. Appuyer sur le français c’est les aider à s’intégrer puisque la langue des signes n’a pas la même syntaxe. En cela ça avait du sens mais le problème c’est que le travail était trop mâché. On ne nous apprend pas à être autonome, on nous apprend plus à reproduire qu’à bien comprendre. Les professeurs devaient composer avec les différences de niveaux puisque c’était le seul lycée reconnu et renommé pour l’accompagnement des personnes déficientes auditives. La tâche est lourde puisqu’ils sont assez seuls.

Maintenant, quelles différences analyses-tu en matière d’inclusion ?

Sur la scolarisation j’observe deux niveaux d’intégration : celle qui vient du professeur et celle de l’enfant et de son entourage. Sur mon parcours, pour trouver mon identité claire par rapport à mon handicap, ça a été compliqué. Pouvoir l’expliquer à un professeur ou à d’autres élèves, c’est encore plus compliqué en tant qu’enfant. Quand tu ne comprends pas ton handicap c’est difficile d’expliquer à un enfant en quoi tu es différent de lui, encore plus quand ta différence n’est pas visible. Il y a une grosse méconnaissance des professeurs dans le handicap, ils ne savent pas ce que c’est. Quand deux enfants « normaux » vont se chamailler le professeur va laisser passer, mais quand c’était avec un enfant handicapé on va vouloir le protéger de tout. En voulant bien faire, on empêche son inclusion et son développement car s’il est dans un établissement classique c’est qu’il a toutes les capacités pour y arriver. Je me suis sentie différente aussi dans mon école spécialisée car j’étais limite trop entendante aussi. On ne comprenait pas trop ce que je faisais là. Je trouvais ça trop simple, répétitif. Au collège tu fais les quatre cents coups, mais dans ce lycée non. On ne leur rendait pas service pour la suite. Il est difficile d’intégrer un enfant handicapé. Mais parquer les personnes sourdes ensemble, ce n’est pas favoriser leur intégration dans une société qui prône le normal. Ça ne favorise pas l’intégration et la curiosité sur le handicap.

Comment étaient perçues les personnes entendantes dans ton lycée ?

Il y a limite un racisme de l’entendant chez la personne sourde. Même les professeurs le disent : « les entendants nous volent nos métiers ». On grandit avec l’idée que l’on n’a pas besoin des entendants pour vivre. Je suis à moitié d’accord. En soi on vit dans une société qui réfute le handicap donc arrivé à un moment : ça coince. Je suis d’accord pour dire que c’est à la société de s’adapter à chaque citoyen. Les personnes handicapées ne doivent pas exclure les autres. Il y a une colère envers les entendants car il y a pu avoir un rejet de leur part. C’est compréhensible mais ça sépare. Il pourrait y avoir un mélange des cultures.

As-tu ressenti un déni du handicap dans le public ?

Oui. Au début je ne portais pas d’appareil auditif jusqu’à mes 7 ans. J’ai été élevé sans la remarque de la différence. A partir de 8 ans j’ai eu un appareil auditif, et ça a été dur. Je n’aimais pas. Et c’était criant : « je suis handicapée ». Les professeurs n’ont pas le temps de s’adapter, de répéter. Je parle correctement. Ça ne se voit pas que je suis malentendante. Je ne ressemble pas à l’idée que l’on se fait de la personne handicapée. Mais ils étaient au courant pourtant il n’y avait pas d’aménagement ou de temps en plus. J’ai eu une seule professeure qui surveillait toujours si je mettais mon appareil mais c’est tout. Mais après, c’est aussi de mon fait parce que je ne supporte pas les regards de pitié et la discrimination positive.

Par rapport à ton appareil, as-tu eu des problèmes d’inclusion ?

En fait je le cachais, je faisais tout pour ne pas le porter. J’ai eu des remarques, tout le monde se moquait de moi, on m’a encerclée et tout le monde se moquait de moi. A partir de ce jour, je ne voulais plus du tout le porter. Mais avant que je porte mon appareil et que mon handicap se voit, on ne s’était jamais moqué de moi pour ça. On peut dire qu’il y a eu un véritable rejet de ma différence. Puisque les adultes n’en parlent pas, les enfants ne savent pas. Je ne savais pas trop pourquoi je mettais un appareil aussi, je ne comprenais pas puisque pour moi j’entendais et tout ce manque d’explications chez l’entendant ou chez la personne sourde ça peut créer des blessures.

Trouves-tu que l’université soit adaptée aux personnes handicapées notamment aux personnes sourdes ?

Non, mais je m’y sens bien. Après ça dépend, Paris 8 a une politique axée sur le handicap très importante, il y a des preneurs de notes et des interprètes. Dans mon université de travailleurs sociaux, il n’y a pas d’ascenseurs donc une personne en chaise roulante ne peut pas y étudier. Et encore une fois l’intégration dépend de l’établissement. Par exemple, dans d’autres villes de provinces l’accès à la scolarité en général est nettement moins facile. Il y a peu d’établissements adaptés à la multitude de handicaps qu’il peut y avoir, et souvent les listes d’attentes sont très longues. La possibilité d’étudier est plus faible pour les personnes handicapées.

Et en termes d’intégration sociale en études supérieures ?

C’est beaucoup plus simple. J’ai grandi donc j’ai une autre vision du handicap. Ça ne me dérange plus de demander des aménagements et des tiers-temps. Et de l’autre côté, les autres aussi ont grandi. Encore plus pour moi dans mes études d’éducatrice spécialisée. Mais même en dehors, je n’entends pas parler de moquerie. Il y a certes un manque d’effort venant des établissements mais au niveau social ça va.

Quant à l’emploi, des remarques ?

Il reste toujours plus d’intolérance envers le handicap invisible pour l’emploi du temps notamment. Beaucoup n’osent pas dire qu’ils sont schizophrènes ou bien qu’ils souffrent de troubles psychiques, ce qui est un handicap. Il y a de la méfiance puisque c’est inconnu pour la plupart et diabolisé. Il y a de la discrimination autour de l’emploi pour tous les handicaps et ce malgré les lois qui sont passées.

Un dernier mot pour la fin ?

L’intégration des personnes handicapées, c’est l’affaire de tout le monde. C’est une question sociétale, pas seulement des personnes touchées.

Propos de Lola STRACK recueillis par Fadhila CHIKH

Illustration : Charb (http://etab.ac-poitiers.fr/coll-sauze-vaussais/spip.php?article2502)

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