L’infiniment petit au service de grandes causes. Voilà l’espoir que suscite aujourd’hui les avancées en informatique quantique. Du réchauffement climatique à la simulation du comportement des éléments les plus fondamentaux du vivant, l’ordinateur quantique, déjà vu comme la prochaine révolution technologique, pourrait bien porter en lui les outils pour déchiffrer les secrets les plus profonds de Dame Nature.
L’ordinateur quantique, késako ?
Rassurez-vous, ce n’est pas du dernier jouet du Seigneur Vador dont nous allons parler, mais bien de la prochaine révolution technologique. Voyons quelques bases pour commencer : contrairement à son homologue traditionnel, l’ordinateur quantique n’utilise pas de bits, mais des qubits. Ainsi, au lieu de stocker une information sous forme de 1 ou de 0, l’ordinateur 2.0 va profiter du phénomène de superposition quantique et assigner à l’information les deux chiffres, donc deux états. Deux états ? Nous pouvons donc être à la fois morts et vivants comme l’expérience de pensée du chat de Schrödinger ? Pas vraiment. Premièrement, ce phénomène de superposition ne s’applique que pour des objets extrêmement petits comme les atomes ou encore le spin d’un électron… Vous pouvez donc dormir sur vos deux oreilles, votre chat n’est pas près de se transformer en zombie. Deuxièmement, en mécanique quantique, l’état d’un système n’est pas déterministe et sa connaissance ne permet que de calculer les probabilités des différents résultats possibles. Ce n’est qu’après avoir mesuré ces probabilités que l’on pourra avoir une idée de ce que nous pond le monde quantique. On le voit bien la notion de superposition quantique est peu intuitive. L’interprétation physique d’un tel phénomène fait débat et différentes positions s’opposent encore. Un autre problème de taille pour l’exploratrice quantique est ce qu’on appelle la décohérence. Illustrons cette notion : en activant le mode pico(mètre) de sa loupe, l’observatrice se rend compte de l’immense faune d’atomes et d’éléments en tout genre peuplant la jungle quantique. Cette faune est si vaste qu’étudier l’ensemble de ses interactions devient vite un casse-tête. La taille des éléments quantiques en fait également des objets facilement perturbables. La simple interaction avec leur environnement, c’est-à-dire, sans chercher bien loin, tout ce qui les entoure, de la lumière de votre lampe de chevet au fait de déchirer du papier toilette, suffit pour entraîner une décohérence. Dit simplement, la décohérence, c’est la destruction de la superposition quantique et donc, en fin de parcours, de l’information. Ce manque important de stabilité est aujourd’hui l’une des principales barrières quant à l’utilisation effective des ordinateurs quantiques.
Fort heureusement, des solutions existent et sont d’ores et déjà étudiées en laboratoire ! Afin d’éviter toute décohérence des qubits, une des solutions à l’œuvre est, disons-le ainsi, d’engourdir au maximum les atomes qui les composent. Oui, mais comment ? Un indice : en hiver il fait… ? Froid ! Et c’est exactement ce que Arne Laucht et son équipe, de l’université de Nouvelle-Galles du Sud, en Australie, a mis à profit en 2013. L’équipe a réalisé l’exploit de stabiliser une superposition quantique à température ambiante pendant 39 minutes. Impressionnant, mais il a tout de même fallu faire subir aux qubit un petit échauffement à 4,2 Kelvins, soit environ -269 degrés Celsius. De quoi faire le plein d’air frais. Malheureusement, lorsque la température remonte, la décohérence lui emboite joyeusement le pas, ne laissant aux chercheurs que quelques millisecondes pour profiter de leur doux rêve quantique.
Ordinateur Quantique : 1 – Speed Racer : 0
Le fait qu’une information se trouve dans plusieurs états donne à l’ordinateur quantique un formidable avantage sur son concurrent classique : une puissance de calcul exponentielle. Sans rentrer dans les détails techniques, chaque qubits ajoutés à la machine des Minimoys relègue un peu plus la machine de Turing dans les abysses de la lenteur. Aujourd’hui, pour rivaliser avec les 10 PétaOctets (Po) de mémoire vive (RAM) d’un supercalculateur, un ordinateur quantique aurait besoin de 48 qubits. A 50 qubits, il prendrait la relève d’Usain Bolt ; en comparaison, la conjecture de Moore stipule que la puissance de calcul des ordinateurs traditionnels ne fait que doubler tous les 18 mois. A problème équivalent cela signifie que ce qu’un ordinateur classique résoudrait en plusieurs milliers d’années, son voisin quantique l’expédierait en quelques secondes à peine.
Ce gain de temps et de puissance permettrait enfin à la science de se lancer dans la simulation, et donc la compréhension, de problèmes relevant encore de la science-fiction. Les applications des technologies quantiques sont, en théories, très nombreuses et variées. Prenons pour exemple la cryptologie : aujourd’hui le système RSA – du nom de ses créateurs, Rivest, Shamir et Adleman – est un système de sécurité virtuelle présent dans tous les aspects de notre vie – commerce en ligne, puces de cartes bleues, communications sur les réseaux sociaux – dont la principale fonction est le chiffrage des données. A ce titre, RSA fait appel aux nombres premiers pour la création de protections permettant aussi bien le chiffrage que le déchiffrage d’un message échangé entre deux appareils. On sait des nombres premiers qu’il en existe une infinité et qu’il est en théorie assez simple de les identifier en utilisant la fonction zêta de Riemann. En 2018, le Great Internet Mersenne Prime Search (GIMPS) a découvert le nombre 282 589 933 – 1, soit le plus grand nombre premier à ce-jour. Fêter une telle découverte, cela paraît absurde, non ? Eh bien pas tant que cela. Pour trouver un tel nombre, un ordinateur classique doit réaliser un ensemble d’opérations chronophages et énergivores. Il arrivera mécaniquement un moment où les nombres premiers se mettront en grève si nous ne sommes plus en mesure de les identifier rapidement. C’est là que l’ordinateur quantique et sa puissance titanesque entre en scène, accompagné d’un petit nouveau : l’algorithme quantique de Shor. Nommé en l’honneur du mathématicien Peter Shor, cette pépite d’optimisation a la capacité de drastiquement réduire le nombre d’opérations nécessaire afin d’identifier un nombre premier. Si un tel outil venait à être implémenté dans un calculateur quantique, nous risquerions de sabler le champagne bien plus souvent… Le filon semble si juteux que même la National Security Agency (NSA) a investi 80 millions de dollars dans le monde quantique, financements destinés à son projet global Owning The Net, projet révélé par un ancien employé bien connu de l’agence américain, Edward Snowden.
Les James Bond de l’internet ne seront pas les seuls à profiter de cette révolution, votre maraîcher également. En 1909, Fritz Haber met au point le procédé Haber plus tard repris à l’échelle industrielle par la société BASF et Carl Bosch. Cette technique a été la porte d’entrée à la fabrication en masse d’engrais azotés synthétiques largement utilisés dans l’agriculture contemporaine. Sans ce procédé, une large partie de la population mondiale aurait du mal à remplir son assiette tous les jours, nous compris. Une telle prouesse a aussi ses revers puisqu’elle consomme aujourd’hui entre 3% et 5% du gaz naturel produit. Le procédé Haber exige de très hautes températures – dans les 500 degrés – afin d’être effectif, d’où une consommation titanesque d’énergie. Le calculateur quantique serait à même de résoudre ces excès en aidant les ingénieurs à comprendre les réactions chimiques complexes qu’implique ce procédé. Ainsi, il serait possible de concevoir des catalyseurs reproduisant ce procédé à température ambiante.
Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? L’ordinateur quantique offrirait également la possibilité de combattre le réchauffement climatique en développant des technologies de capture du CO2. Il serait également possible de simuler, et donc d’étudier en profondeur, le comportement des éléments les plus élémentaires du vivant : atomes, cellules, ribosomes et des plus belles. La voie vers un monde fait main… Quiconque mettra la main sur la puissance quantique se dotera sans nul doute d’un avantage immense non seulement sur ses adversaires proches, mais également sur le monde entier. Les enjeux économiques, sociaux, technologiques et environnementaux passeront à un niveau supérieur. Cependant, préférons, pour quelques temps encore, l’emploi du conditionnel et non du futur car la route reste longue. Longue, mais passionnante.
Adrien Albertini.