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Interview : Alexandre Tharaud

Alexandre Tharaud a sorti en novembre dernier son dernier album Versailles. Il y fait la gloire du raffinement de la musique française avec un répertoire aussi éclectique qu’électrisant, allant de la musique baroque du XVIIIe siècle à la musique contemporaine.

Rencontre avec un pianiste jouant musiques d’hier et d’aujourd’hui, que l’on pourra retrouver le 5 juillet prochain lors d’une journée de concerts dans les différentes salles époustouflantes du Palais de Versailles. 

Qui vous a initié au piano ? 

 

Mon père était chanteur, ma mère professeur de danse. Donc, dès l’enfance mes parents nous ont mis ma soeur cadette et moi au piano, je ne sais pas ce qu’il leur a pris ! (rires)

Le piano, quand l’on est enfant, c’est un terrain de jeu, mais c’est aussi un confident. On grandit avec : à l’adolescence par exemple, on a tous des problèmes de confiance en soi, et le piano nous répond, nous écoute. C’est un miroir, un miroir bienveillant. Et depuis, c’est devenu mon ami, pour la vie.

Cette complicité que vous avez développé avec le piano, vous a-t-elle poussé à en faire votre métier ? 

Enfant, j’étais très paresseux, je ne voulais pas être pianiste. Un jour j’ai appris que les trompettistes ne pouvaient travailler que deux heures par jour à cause de la fatigue causée par la sollicitation trop forte de leurs lèvres. Quand j’ai su ça, j’avais dit à mes parents que je voulais être trompettiste ! (rires

Je suis devenu pianiste, un peu par la force des choses… Le cursus est différent de celui suivi dans une université comme la Sorbonne. Pour nous, le passage quasi-obligé est le conservatoire national. Donc, le conservatoire nous amène à préparer des concours, puis des concours internationaux. Et ces concours nous amènent malgré nous vers le métier de pianiste. Comme on est un peu embringué, je ne saurais dire si c’est moi, le piano, ou la vie qui m’a mené vers ce métier. Disons qu’il y a eu une sorte de coup d’accélérateur qui a fait que c’est arrivé. 

Quels sont vos ressentis durant vos concerts ? Quelle relation entretenez-vous avec la scène et le public ? 

Le rapport à la scène, au public… C’est un vaste sujet. J’ai écrit un livre là-dessus qui s’appelle Montrez-moi vos mains (éd. Grasset) qui permet de comprendre plus de l’intérieur quel est ce métier. C’est un rapport d’obscurité et de lumière, se cacher et être en pâture, avec une dimension très exhibitionniste. Pour se tenir au beau milieu de la scène, il faut vraiment le vouloir ; alors que je ne joue même pas ma propre musique ! Les gens m’applaudissent alors que Beethoven ou Mozart sont derrière.

Le rapport à la scène est un rapport de plaisir, et de peur en même temps. C’est un plaisir dangereux, qui donne beaucoup de sensations fortes, comme un saut en parachute : c’est un geste courageux, mais je dois passer par là, car pour moi c’est le prix à payer pour être heureux. La scène est une immersion dans un espace de sécurité : on s’y sent très bien et on a l’impression que toutes les sensations sont décuplées. C’est une vie en soi, et c’est très agréable. Ça fait peur, mais on y retourne à chaque fois, car quand on a vécu la scène, la vie à côté nous semble bien fade. 

Ensuite, le rapport au public est un rapport presque amoureux. Quand on joue en public, c’est un peu comme un rendez-vous galant : on se fait beau, on a le coeur qui bat, et tous nos sens sont en éveil. Quand on a mon âge, on finit après toutes ces années par tisser un lien de confiance très fort avec le public, qui est très porteur.

Qu’est-ce qui motive vos choix pour faire un disque ? 

Un disque, ça vient du ventre. C’est très physique. On ne peut pas accoucher, nous les hommes, mais j’imagine qu’il y a – à moindre mesure évidemment cet espace qui grandit en soi et qui doit sortir. C’est vraiment comme une pulsion. Après avoir sorti le disque Rameau il y a dix-huit ans, j’avais aussitôt envie d’en rejouer : je le fais dans Versailles, mais il a fallu attendre. Ça a été dix-huit ans de macérations, de réflexions… Ça grossit, et à un moment, on a envie de vomir : c’est un truc qu’on jette, parce qu’on n’en peut plus, de garder ça en soi. 

Quand on enregistre un disque, on se demande toujours si on a assez de maturité. Et puis, enregistrer un disque, ça prend quelques jours, ce qui n’est pas beaucoup, donc on peut rater un disque. Quand on est un pianiste connu, il y a beaucoup de gens qui vont acheter notre disque en pensant que c’est une référence ; ça représente un gros poids sur les épaules.

Donc, il faut choisir le moment, et en même temps on n’a pas trop le choix, car c’est quelque chose qu’on a vraiment besoin de sortir.

 

Propos recueillis par Marilyn HAZAN

photographe : Marco BORGGREVE

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