Entre deux stations, on grimpe et on se laisse glisser.

En quelques années, une partie de la jeunesse défavorisée et en marge de la société a fait passer le train d’un simple moyen de transport à un puissant générateur d’adrénaline. Retour sur un phénomène qui a le vent en poupe : le train surfing.

Depuis sa première mise en circulation le 21 février 1804, sur des rails près de Merthyr Tydfil au pays de Galles, le train n’a cessé de façonner notre rapport à la mobilité. La plupart du temps, qui voyage en train le fait pour se rendre d’un point de départ à un point d’arrivée et, conventionnellement, les voyageurs du train passent la plupart de leur temps assis sur une banquette, un siège ou un strapontin. Toutefois, ce qui, autrefois, a pu être une façon de se déplacer prend aujourd’hui une forme singulière : le train surfing. L’objectif est simple : intercepter un train, se cramponner sur son toit et voyager de la façon la plus sensationnelle et élégante possible.

Phénomène né en Afrique du Sud dans les années 1980, ce passe-temps de l’extrême s’est répandu dans le monde entier. Des communautés entières se sont alors formées autour de ce surf 2.0 et inondent les réseaux sociaux de leurs exploits du jour. Sur Youtube, on retrouve notamment Shiey (prononcé shy) qui ne cumule pas moins de 884 000 abonnées. Ce jeune lithuanien de 22 ans s’est fait connaître pour sa série de vidéos Illegal Freedom à travers laquelle il a fait découvrir à son audience un grand nombre de lieux oubliés. Au programme : exploration urbaine (urbex), prises de vue panoramique, parkour et, bien évidemment, train-surfing. Sur Facebook, les membres du groupe Soweto Train Surfer’s publient régulièrement des conseils pour améliorer leurs techniques, des vidéos où ils se mettent en scène, mais aussi des messages de soutien envers leurs défunts compagnons de glisse. Si cette pratique de l’extrême peut susciter excitation et admiration, elle n’en reste pas moins extrêmement dangereuse. Les accidents ne sont pas rares quand on se laisse porter par un train. En 2008, 40 personnes ont perdu la vie après s’être adonnées au train surfing sur le réseau ferroviaire allemand ; En Russie, pour la seule année de 2011, pas moins de 100 surfeurs sont morts.

Dans son documentaire Train Surfers, le réalisateur Adrien Cothier a suivi un groupe de jeunes de Mumbaï, en Inde, pour lesquels la glisse ferroviaire met à mal un ennui devenu chronique. « Si tu es tendu, ton esprit sera distrait. Tu ne réalises pas qu’un poteau approche […] Quand celui-ci te percute, tu meurs sur le coup[1] », explique l’un d’eux. « On se fiche de risquer nos vies, explique un autre. On s’amuse. On verra plus tard. » S’ils sont conscients que leur monture de fer et d’acier peut les emmener tout droit à la morgue, ces jeunes indiens n’en démordent pas pour autant. Vivre, explorer, ressentir l’adrénaline, prendre possession de leurs corps sont leur priorité absolue. Souvent issues de quartiers défavorisés, les jeunes adeptes du train-surfing n’ont pas nécessairement accès à des activités physiquement et intellectuellement stimulantes ce qui, selon le caractère de chacun, peut mener au développement d’un ennui chronique que les activités à risque – drogue, alcool, combats de rue ou encore train-surfing – sont à même de pallier. « It [Train surfing] is as close as you can get to flying without taking drugs, déclarait un jeune rider se faisant appeler Seec dans un article pour le journal new yorkais The Village Voice.

L’appartenance à un groupe partageant les mêmes intérêts est une prochaine étape naturelle pour ces jeunes, le partage et le sentiment d’appartenance devenant des aspects critiques de leur activité. Prouver aux autres membres du groupe que l’on est capable d’évoluer, d’imiter ses pairs et de créer sa légende sont autant d’éléments qui soudent et maintiennent à flot les groupes de glisseurs. Dans son livre Risk Society (1992) le sociologue allemand Ulrich Beck montre comment les nouvelles générations, influencées par un individualisme devenu omniprésent, sont constamment poussées à repousser leurs limites physiques, et paradoxalement leur part de responsabilité individuelle, dans un monde de plus en plus globalisé. L’aspect sublime d’une activité à haut risque, pour laquelle seule la mort est le véritable frein, contribue également à alimenter le fantasme d’un passe-temps héroïque défiant les normes de la société.

Malone (2005) explore également pourquoi, chez les jeunes cavaliers, chevaucher des trains peut également être synonyme d’un rite de passage. C’est la marque que l’on a franchi un cap, que l’on a grandi. Ce sont les moments marquants d’une vie qui amène  leur plume à écrire un nouveau chapitre. Il y a souvent un aspect dangereux dans le passage de l’enfance vers l’âge adulte. Chez les Sioux Lakotas, peuple Amérindien, La danse face au soleil, longtemps interdite par le gouvernement américain, lance le futur jeune chaman dans une quête pour la vision. La chair entaillée par les serres d’un aigle et liée à un poteau par une corde, le jeune danseur, soutenu par sa tribu, dansera jusqu’à ce que sa peau et ses muscles cèdent sous la pression et le libèrent de ses liens. Pourtant, aujourd’hui, nos sociétés ne mettent plus en avant de tels rites. Comme l’explique Xavier Pommereau, médecin pédopsychiatre à Bordeaux, dans les colonnes d’Europe 1, « aujourd’hui, il n’existe plus de rite de passage un peu dangereux. Les adolescents peuvent passer le Bac, le Bafa, ou encore le permis, mais rien de dangereux qui soit encadré par une personne adulte. » A défaut d’avoir un encadrement social et culturel avantageux favorisant ainsi leur esprit d’initiative et une relative prise de risque, certains jeunes décident de voler de leurs propres ailes, quitte à parfois s’approcher trop près du Soleil.

 

Adrien ALBERTINI

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