Interview : “Un théâtre vide est une chose sinistre”

Dans le cadre du nouveau plan de relance pour la culture annoncé par le premier ministre Jean Castex le 3 septembre dernier, et en cette rentrée (menacée) des théâtres en France, nous avons rencontré Blandine Dujardin, administratrice du Centre Dramatique National (CDN) de Normandie, Rouen.

Comment avez-vous vu et vécu la prolongation de la fermeture des théâtres ?

Un théâtre vide est une chose sinistre : la rencontre entre le public et les œuvres ne pouvant plus se dérouler, la création des œuvres non plus. Pour une équipe, continuer à travailler pour des lieux déserts, quand le reste de l’activité économique nationale reprend doucement, gérer au quotidien uniquement des annulations de représentations, des remboursements de billets, des annulations de tournées, des annulations de projets de médiation culturelle est difficile. L’équipe s’est longtemps trouvée privée de l’objet et du sens même de son travail. En outre, la sensation de ne pas être une activité prioritaire, de passer après beaucoup de choses, s’est accrue au cours de la crise sanitaire. La possibilité que la culture fasse les frais d’arbitrages budgétaires nécessaires était réelle. Nous avons tenu en ayant conscience que si tout le monde, dans cette chaîne qu’est le milieu culturel, tenait bon, tenait ses engagements, payait ce qu’il était prévu de payer afin que personne ne soit trop fragilisé par les fermetures, alors « la casse » serait limitée. C’est cet esprit de solidarité et de lutte qui nous a soutenu, entre autres. C’était le mot d’ordre, défendu par le directeur du CDN : « Annulez tout, payez tout le monde ». Et depuis la rentrée, les discours sont un peu plus rassurants, en tout cas pour notre établissement, très soutenu par les membres de son conseil d’administration : l’Etat, la Région Normandie et les trois villes dans lesquelles sont implantés les théâtres.

Centre Dramatique National (CDN)- crédit photo : CDN

Quel sera le protocole sanitaire mis en place à la réouverture des théâtres au public ?

Dès le début du mois de mai un guide de reprise du travail sur site a été rédigé. Il en est à sa quatrième mise à jour. Il décrit les protocoles sanitaires mis en place au CDN pour l’équipe permanente, le public, les artistes et les usagers et entreprises.

Il comprend entre autres : port du masque obligatoire, lavage des mains régulier et gel à disposition du public, distanciation dans les halls ou fluidification des déplacements du public par le personnel…  

Salle du Centre Dramatique National - crédit photo : CDN

Avant l’annonce du plan de relance de la culture du 3 septembre, quelles ont été les consignes et les informations du gouvernement concernant le sort du spectacle vivant ?

Comme dans tous les secteurs, et peut-être un peu plus qu’ailleurs, les informations et les consignes ont évolué en même temps que la connaissance de la crise en cours. La cadence est très inhabituelle pour les théâtres : les projets sont planifiés un à deux ans à l’avance, les tournées des spectacles négociées également un à deux ans avant leur déroulement, les activités sont coordonnées plusieurs mois à l’avance… Nous avons dû apprendre à faire notre métier différemment, avec toutes les équipes en télétravail donc plus difficiles à accompagner dans ce bouleversement.

Il a fallu prendre beaucoup de décisions de gestion de crise, rapidement, dans un contexte incertain, tant d’un point de vue sanitaire que budgétaire. Les consignes concernant la possible réouverture des lieux sont, elles aussi, arrivées petit à petit, si compliquées à tenir dans un premier temps qu’il a pu sembler impossible de rouvrir.  Au final nous avons conçu un véritable plan de gestion de crise, basé sur les principes qui nous ont guidés pendant toute la période.

Celles qui nous ont été adressées fin août par la DGCA sont, certes, très détaillées, mais assez opérationnelles et concrètes. En outre, le temps a passé, et les établissements ont intégré le nouveau paradigme. Nous étions bien plus « prêts », je crois.

Par ailleurs, il faut aussi avoir conscience que les établissements ne dépendent pas uniquement de l’Etat donc les consignes et les fermetures peuvent également venir de collectivités territoriales et locales  (préfectures, villes, départements,  régions etc).

Loge du Centre Dramatique National - crédit photo : Stéphanie Péron

Que pensez-vous du plan de relance, est-il assez concrètement ancré dans la réalité ? Qu’apportera-t-il ?

Actuellement, nous sommes en lien avec les DRAC (Directions Régionales des Affaires Culturelles) qui servent d’interlocuteurs et de relais. Ils collectent les données dans les établissements afin de pouvoir faire remonter en centrale, à la DGCA, l’état des besoins locaux et demander les fonds nécessaires au soutien des structures en fonction de leurs besoins. Il y a toujours des effets d’annonce et de la communication institutionnelle dans ce genre de circonstances. Mais, il y a aussi la conscience que le secteur culturel, bien que plus modeste que d’autres secteurs professionnels, a été très durement touché par la crise et a besoin de soutien afin de ne pas disparaître. Tout l’enjeu aujourd’hui est de bien distribuer les fonds attribués selon des critères équitables, d’où l’actuelle remontée d’informations. Nous en sommes à cette étape du processus.

Comme l’a décrit notre interlocutrice, le monde du spectacle vivant a profondément souffert de la crise du Coronavirus et peine à s’en remettre. La route vers la réouverture s’est faite à tâtons mais semblait en bonne voie. Seulement, alors que certaines grandes villes de France entrent en alerte maximale et voient leurs salles, pas encore rouvertes, se refermer, on peut comprendre le désarroi et l’inquiétude qui planent au dessus des professionnels du monde du spectacle vivant face à cet énorme point d’interrogation qu’est aujourd’hui leur avenir proche. 

Propos recueillis par Valentine L. Delétoille @Valenttined

Cette interview a été réalisée avant le second confinement.


Un grand merci à Madame Blandine Dujardin pour le temps qu’elle nous a accordé.

Sources :

  • couverture : crédit photo : Gaëtan Ballot

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