Site icon Alma Mater

Prix Nobel de Physique 2020 : La formation des trous noirs stellaires dévoilée

Le 6 octobre 2020, l’Académie royale des sciences de Suède a annoncé les lauréats du Prix Nobel de Physique. Pour la deuxième année consécutive, l’astrophysique est primée : après les exoplanètes, ce sont les trous noirs qui bénéficient d’une ovation internationale.

« Cette année, ce prix célèbre la découverte d’un des objets les plus exotiques de notre Univers : le trou noir ! », a salué David Haviland, le président du Comité Nobel de physique. Trois lauréats ont été récompensés conjointement en l’honneur du travail titanesque et inédit mené sur ce dernier. En premier lieu, la nomination concerne Roger Penrose, car en 1965 il a su démontrer que la formation d’un trou noir (TN) constitue une prédiction robuste de la Relativité Générale (RG). La deuxième partie du prix a été partagée entre Andrea Ghez et Reinhard Genzel pour avoir révélé l’existence d’un objet compact supermassif qui gouverne les orbites des étoiles au centre de la Voie lactée – la galaxie dans laquelle se trouve notre système solaire.

Roger Penrose : Explication du processus de formation des trous noirs stellaires

Si aujourd’hui, grâce aux détections d’ondes gravitationnelles – et plus encore depuis l’extraordinaire photographie de l’ombre du trou noir M87* en avril 2019 –, il peut sembler dérisoire de contester leur contribution dans l’Univers, les TN étaient pourtant encore récemment au cœur de débats houleux. En effet, pendant de nombreuses années, les physiciens – y compris Albert Einstein – remettaient en cause l’idée-même de cette singularité de l’espace-temps, la reléguant au simple titre de cas limite mathématique à la théorie de la RG (1915). Le génie de Roger Penrose fut de prouver, avec un raisonnement rigoureux, que dans un Univers gouverné par la gravitation, la formation de TN s’avère être un processus inévitable et tout à fait naturel. Pour ce faire, il a dû inventer un nouveau concept mathématique, qu’il nomma trapped surface (i.e. la « surface piégée»). Lorsque cette dernière est créée, toute particule est piégée dans le flux du temps qui l’amène inévitablement vers la singularité, là où le temps s’arrête et où réside toute la matière qui a formé le TN. 

Schéma dans l’article de Roger Penrose publié en 1965 pour montrer comment la matière s’effondre en un trou noir. Sur la trapped surface, tous les cônes de lumière sont inclinés vers l'intérieur, ce qui provoque inévitablement la formation d'une singularité au cœur du trou noir. Crédit : The Nobel Prize/Roger Penrose (1965).

En janvier 1965, soit dix ans après la mort du père de la RG, le théoricien anglais a ainsi apporté une fine et remarquable description des propriétés dont disposent les TN dits stellaires, obtenus après effondrement gravitationnel d’étoiles massives au stade de géante rouge. C’est au centre de ceux-ci que se nichent chaque photon et toute la matière ingurgités. Ce point où tout est concentré porte le nom de singularité, car les lois de la nature cessent de fournir le moindre sens physique à cet endroit précis. Son article est encore aujourd’hui présenté comme la contribution la plus notable à la théorie de la RG, depuis le fondateur lui-même. Les physiciens sont restés confus, démunis pendant des décennies face au niveau de complexité mathématique et d’abstraction requis par ces zones obscures de l’Univers. Est-ce qu’un tel objet exotique peut en pratique survenir dans notre Univers observable ? Pour y répondre et mettre à mal les détracteurs, les astrophysiciens ont dû faire preuve d’ingéniosité et redoubler de créativité. 

John Michell et Pierre Simon Laplace : Les pionniers des « étoiles noires »

L’intérêt pour les TN n’est pas contemporain. Bien avant qu’Einstein ait pourvu un formalisme mathématique suffisamment puissant pour décrire un corps infiniment compact, deux esprits scientifiques curieux et visionnaires avaient déjà pressenti leur existence. Dès la fin du XVIIIe siècle, John Michell (1783) et Pierre Simon Laplace (1796) avaient suggéré la possibilité que certains astres puissent exercer une gravité si forte que même la lumière ne parviendrait pas à s’enfuir. Pour saisir l’aspect insensé de cette réalité physique de l’extrême, prenons un TN de la masse de la Terre, son rayon d’influence coïnciderait alors à celui d’un petit pois (soit environ neuf millimètres).

Diagramme montrant l’intérieur du trou noir en choisissant la métrique de Schwarzschild, depuis l'horizon des événements jusqu’à sa singularité. Le temps et l’espace inversent leur rôle. Il devient donc aussi difficile de sortir du trou noir que de remonter dans le temps. Crédit : The Nobel Prize.

Par définition, lorsqu’un TN se forme, une frontière apparaît simultanément autour de lui, qualifiée d’horizon des évènements (HE) – ou rayon de Schwarzschild. Une fois cette distance caractéristique franchie, plus aucune parcelle d’information ne peut alors réchapper à la domination gravitationnelle exercée par le TN, traduisant un périmètre de « non retour ». Ainsi, une détection directe avec le spectre de la lumière est tout simplement inconcevable. C’est la raison pour laquelle John Michell a insufflé l’idée de prêter attention à la dynamique au voisinage de ces gloutons cosmiques qui trahirait leur présence : « … nous ne pourrions obtenir une quelconque information à partir de la lumière. [Par contre,] si d’autres corps lumineux tournaient autour de ces étoiles noires, nous pourrions peut-être encore déduire leur existence au centre avec un certain degré de probabilité, grâce aux mouvements de rotation de ces corps ». Cette initiative n’aura pu être testée que 200 ans plus tard, grâce à la persévérance des équipes dirigées respectivement par Andrea Ghez et Reinhard Genzel… 

A suivre dans l’article “Prix Nobel de Physique 2020 : La traque du trou noir supermassif Sgr A*” : Prix Nobel de Physique 2020 : La traque du trou noir supermassif Sgr A* (journalmamater.fr)

Margaux ABELLO

(@MargauxAbello)

Couverture : Crédits photo : Trou noir Gargantua, dans le film Interstellar de Christopher Nolan (2014)


Glossaire des abréviations :

TN : Trou noir

RG : Relativité Générale

HE : Horizon des évènements

Sources : 

Quitter la version mobile