Prix Nobel de Physique 2020 : La traque du trou noir supermassif Sgr A*

L’année 2020 a mis à l’honneur les travaux menés sur la théorisation et la détection indirecte des trous noirs. En effet, le 6 octobre 2020, l’Académie royale des sciences de Suède a récompensé notamment Andrea Ghez et Reinhard Genzel pour avoir identifié qu’un trou noir supermassif se nichait au centre de notre galaxie. 

Contre toute attente, l’intérêt pour les trous noirs (TN) n’est point contemporain puisque dès la fin du XVIIIe siècle, deux esprits scientifiques curieux et visionnaires avaient déjà pressenti leur existence. Ils avaient anticipé le fait que dans le cadre d’un TN, aucune parcelle d’information ne peut réchapper à la domination gravitationnelle qu’il exerce une fois l’horizon des évènements traversé (lire Prix Nobel de Physique 2020 : La formation des trous noirs stellaires dévoilée). Ainsi, une détection directe à l’aide du spectre de la lumière est tout simplement inconcevable. Toutefois, une astuce restait à tester… A savoir, prêter attention à la dynamique des corps stellaires au voisinage de ces sources astrophysiques de compacité infinie, car celle-ci serait susceptible de trahir leur présence !

Les trois lauréats du Prix Nobel de Physique 2020. De gauche à droite : Roger Penrose, Reinhard Genzel et Andrea Ghez. Crédit : Ciel & Espace. 

Découverte du trou noir supermassif au centre de la Voie lactée, Sagittarius A*

Cette idée n’aura pu être testée que 200 ans plus tard, grâce à la persévérance des équipes dirigées respectivement par Andrea Ghez et Reinhard Genzel. A l’aube des années 90, ils ont tourné les télescopes infrarouges NTT (puis plus tard le VLT) au Chili et Keck-I à Hawaï vers le centre de notre galaxie (Voie lactée) où son cœur est habituellement caché – dans les longueurs d’ondes du visible – derrière d’épais et denses nuages, résultats d’un mélange de poussières et de gaz interstellaire. L’objectif consistait à percer les dessous de ces nuages moléculaires tenus jusqu’alors au secret galactique. Ce qu’ils ont trouvé était tout à fait incroyable : une trentaine d’étoiles se mettaient en mouvement elliptique rapide autour de quelque chose d’imperceptible au prisme des astronomes. Parmi elles, une étoile prénommée S2 (ou SO2) traçait dans le ciel une trajectoire singulière, mobilisant toute leur attention. Ils l’ont alors suivi pendant seize années afin qu’elle réalise une période complète de son orbite autour du point invisible – à noter que le Soleil effectue un tour complet en 200 millions d’années. À sa plus grande approche (soit au péricentre), elle se situe à seulement 17 heures lumières de ce point très massique – à titre de comparaison, notre système solaire s’en trouve à 245 millions heures lumières – et se déplace à plus de 5 000 kilomètres par seconde. Cette vitesse faramineuse correspond à 1,6% de la vitesse de la lumière, à noter que le record de l’objet le plus rapide jamais construit par l’être humain est la sonde spatiale Parker Solar Probe, lorsqu’elle s’est aventurée à moins de 25 millions de kilomètres du Soleil à 0,064% de la vitesse de la lumière. 

Bilan des résultats scientifiques obtenus sur le suivi en continu de l’orbite de l’étoile S2 autour de Sgr A*, au cœur de la Voie lactée, entre 1992 et 2018. A droite, la carte de l’orbite projetée sur le ciel. Les triangles et les cercles correspondent à la mesure de la position S2 avec le NTT et le VLT, tandis que les carrés proviennent du Keck-I. A gauche, un graphique qui indique la vitesse radiale de S2 en fonction des années (code couleur associé). Crédit : The Nobel Prize/Abuter et al. (2018). 

Au regard des vitesses vertigineuses atteintes par ces étoiles, les mesures sont sans appel et aboutissent actuellement à une unique déduction plausible. Celle-ci affirme que seul un TN peut se loger au beau milieu de la Voie lactée afin d’expliquer raisonnablement de telles orbites dans les environs. Il s’appelle Sagittarius A* (Sgr A*) et contient quatre millions de masses solaires dans un territoire pas plus large que celui occupé par notre Système solaire. Ce rapport titanesque entre masse et diamètre fait honneur à la dénomination consacrée de TN supermassif. Par conséquent, la surveillance pointilleuse, et de longue haleine, de notre centre galactique apporte la preuve concrète – indirecte mais des plus convaincantes – de l’existence d’un fidèle représentant de cette catégorie de source astrophysique démesurée. L’importance de cette trouvaille a d’ailleurs valu la récompense du prix Nobel de physique 2020. En effet, les deux chercheurs référents ont partagé la moitié du prix pour avoir révélé par l’observation qu’un objet compact supermassif gouverne les orbites des étoiles au centre de la Voie lactée.

Mouvement des étoiles, dont S2 en ligne continue jaune, autour du trou noir supermassif Sgr A*, sur dix années de relevés minutieux. Crédits : NACO/VLT YEPUN/MPE/ESO. 

Des milliers de trous noirs stellaires autour de Sgr A* 

Plus récemment, en juin 2020, des astronomes ont repéré des milliers de (candidats) TN stellaires à moins de trois années-lumière de Sgr A*, grâce aux données du télescope spatial à rayons X Chandra. Des études théoriques sur la dynamique des étoiles au sein des galaxies ont indiqué qu’une grande population de TN de dizaine de masses solaires (jusqu’à 20 000 TN de type binaires X) pourrait dériver et se rassembler autour de Sgr A*. Cette récente analyse, qui s’appuie sur les relevés de l’instrument américain, constitue la première preuve observationnelle d’une telle abondance de trous noirs. 

Cliché qui saisit les abords du trou noir galactique Sagittarius A* dans le domaine des rayons X. Certaines des sources ponctuelles lumineuses distinguables sur l'image correspondent en réalité à des binaires X (i.e. des trous noirs qui accrètent les couches d’une étoile compagnon). Crédit : NASA/Chandra X-Ray Observatory.

Un épais mystère enveloppe encore ce phénomène compté parmi les plus exotiques de l’Univers

« Les découvertes des [trois] lauréats de cette année ont ouvert de nouvelles voies dans l’étude des objets compacts et supermassifs. Toutefois ces objets exotiques posent encore de nombreuses questions qui n’attendent qu’à être répondues et motivent de futures recherches. Non seulement des questions sur leur structure interne, mais aussi des questions sur la façon de tester notre théorie de la gravité dans les conditions extrêmes au voisinage immédiat d’un trou noir », a conclu à la conférence de presse David Haviland, professeur en physique des nanostructures. 

Schéma simplifié de la Voie lactée, la galaxie spirale hôte de notre système solaire. Elle fait 100 000 années lumières de long, et comporte quelques centaines de milliards d’étoiles, dont le Soleil. Ses bras spiraux sont constitués de gaz et de poussières. Crédit : The Nobel Prize/Johan Jarnestad & IR/NACO/VLT/ESO. 

Des recherches intensives en physique théorique sont conduites depuis plusieurs décennies afin d’établir une nouvelle théorie : la gravité quantique. Celle-ci doit être capable d’unir les deux piliers de la physique moderne, à savoir la relativité générale et la mécanique quantique. Toutes deux se rencontrent notamment à la singularité du TN, où la gravité devient infiniment forte. En attendant cette révolution, nous pouvons patienter en nous délectant des clichés de TN supermassifs. Après le chaleureux accueil réservé à M87*, la collaboration EHT (Event Horizon Telescope) oeuvre désormais à la prochaine image d’un horizon des évènements : celui de Sgr A*.

Margaux ABELLO

(@MargauxAbello)

Couverture : Image composite (rayons X en bleu et infrarouge en rose) obtenu en pointant les télescopes vers le centre de la Voie lactée. Zoom sur le trou noir supermassif Sagittarius A*. Crédits : rayons X/Chandra/NASA/UMass/D.Wang et al. & IR/HST/NASA/STScI.


Glossaire des abréviations :

TN : Trou noir

Sgr A* : Sagittarius A* 

Sources : 

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