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L’art des claquettes : de la musique dansée à la musicalité dansante

De la musique avant toute chose,

Et pour cela préfère les fers.1

L’un martèle la surface de ses pieds tandis que l’autre martèle les touches de ses doigts. Qui n’a jamais prêté attention au duo formé par le claquettiste Gene Kelly et le pianiste Oscar Levant dans la comédie musicale Un Américain à Paris ? Véritable manifeste du Music Hall, cette collaboration artistique entre danse et musique participe d’une intersubjectivité créatrice qui se veut novatrice en abolissant la hiérarchisation de ces deux arts. 

A l’occasion de l’HyperNuit, événement musical organisé par Radio France le 23 janvier 2021, artistes et jeunes talents se sont réunis sur scène au sein de collaborations interdisciplinaires. Accompagnés au piano par la virtuose Célia Oneto Bensaid, Alexis Thomas-Szlachta et son partenaire Arnaud Gromard évoluent sur scène. Frappes dansées et mélodies lyriques y sont brillamment entrelacées. Alma Mater vous invite donc à découvrir la générosité créatrice de ces trois artistes.

D’une frappe à l’autre, il n’y a qu’un pas

Contrairement à l’idée communément reçue, les claquettes ne se cantonnent pas à un élément ornemental au sein d’une symphonie dansante. Leur dimension percussive fait de cette discipline une danse intrinsèquement musicale. Elle commence dès lors que le rythme gagne ses droits sur le physique des corps et des sonorités scéniques. Ainsi, par un agencement nouveau des organismes, la frappe se plie librement et se réinvente à l’infini en fonction des impératifs corporels du claquettiste. 

Selon Alexis Thomas-Szlachta, la musicalité des claquettes réside principalement en une solide connaissance du « corpus classique ». Ce dernier s’axe sur trois types de frappes : le buck and wing, le waltz clog, et le soft shoe

Le buck and wing se caractérise par une performance dansée sur quatre temps. C’est la technique de frappe la plus répandue dans la pratique des claquettes. Énergique et particulièrement spectaculaire, sa puissance virtuose ancre sa technicité corporelle sur la force de frappe du claquettiste. Elle lui permet ainsi d’évoluer parmi une large gamme de sonorités percussives. 

Plus modérée dans sa rythmique, le waltz clog a la particularité de créer une hybridation entre la valse et les claquettes. Cette frappe à trois temps se trouve adoucie grâce à la virtuosité rythmique de la valse. 

Plus atypique et naturel, le soft shoe se passe de fers pour ainsi présenter un claquettiste en chaussures de ville, évoluant sur un swing ternaire. L’aisance et la douceur de cette technique très aérienne s’apparentent à une marche légèrement frappée. Le claquettiste préserve ainsi la décontraction quotidienne du haut de son corps, ce qui le transpose dans un univers alternatif où la limite entre fiction et réalité se trouve floutée.

Quand « comprendre la danse c’est comprendre la musique » : une co-création musicale

L’éclectisme du corpus musical sur lequel évoluent Alexis Thomas-Szlachta et Arnaud Gromard requiert nécessairement une flexibilité ainsi qu’une intelligence mélodique qui leur a été fournie par Célia Oneto Bensaid. Afin d’exploiter pleinement le potentiel de leur frappe, les deux claquettistes évoluent sur un medley musical dont la réalisation n’aurait pu aboutir sans l’intervention de la pianiste. La subtilité du doigté musical est alors requise par la dextérité chorégraphique. Cela permet aux danseurs de bénéficier d’une partition sur mesure et ainsi de perfectionner la richesse sonore de leur performance. 

Au sein d’un dialogisme rythmique, la danse peut alors déjouer les accords du piano, surprendre l’auditoire, accompagner ou bien guider la partition musicale. L’alchimie mélodique opère entre contrepoints, unissons et complicité. De la complémentarité musicale, claquettistes et pianiste pénètrent dans une phase de travail plus complexe, mais également plus enrichissante et fructueuse : celle de la fusion artistico-scénographique. 

De cette bipartition sonore, qui combine arrangements mélodiques et propositions rythmiques, résulte une « musique dansante », écrite par et pour la danse. Lors des stop times, la pianiste lève le pied et minimalise son jeu pour valoriser la frappe des deux partenaires. Tantôt, elle tente de se calquer sur le rythme des claquettistes sans pour autant se laisser entraîner par ces derniers. Des jeux de regards à la mise en valeur réciproque, la musique s’en trouve démocratisée car mise à la disposition des danseurs comme des musiciens.

Ainsi, la collaboration entre Célia Oneto Bensaid, Alexis Thomas-Szlachta et Arnaud Gromard s’insère dans les pas esquissés un demi-siècle plus tôt par Gene Kelly et Oscar Levant. Au-delà d’un enrichissement sonore réciproque, la rencontre de ces trois artistes fait émerger une réflexion poétique. Elle consiste à considérer les claquettes comme « un élément rythmique qui s’intègre au tout »; renouant ainsi avec la notion wagnérienne d’œuvre d’art totale.

1 Détournement des premiers vers de l’Art Poétique de Verlaine : “De la musique avant toute chose. Et pour cela préfère l’Impair”

Tiffany ALLARD

Couverture : ©Aucoba

Pour voir leurs performances :

Sources :

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