À Paris, nombreuses sont les statues parsemées dans les rues qui marquent les esprits des promeneurs. Qu’il s’agisse de la statue de Louis XIII au cœur de la place des Vosges ou de la statue de Beaumarchais rue Saint-Antoine, elles ont pour but de rendre hommage à des personnalités célèbres. Or, certaines statues parisiennes ne représentent pas une personnalité réelle en elle-même, mais rendent hommage à un auteur par le prisme de la représentation statuaire de son personnage fictif. 

Une œuvre atypique au cœur de Paris 

C’est le cas du Passe Muraille de Montmartre, qui, représentant la personne fictive de Monsieur Dutilleul, renvoie au roman homonyme Le Passe Muraille de Marcel Aymé. Pour résumer, cette nouvelle parue en 1943 nous raconte l’histoire d’un certain Monsieur Dutilleul découvrant un beau jour qu’il possède une capacité incongrue : celle de traverser les murs. Mais, l’utilisation à outrance de son pouvoir surnaturel va le lui faire perdre ! Il se retrouve alors bloqué dans un mur qu’il est en train de traverser…  À jalon entre fiction et réalité, cette œuvre atypique permet de matérialiser un personnage fictionnel tout en rendant hommage à son créateur Marcel Aymé. Notons que le visage de la statue ressemble étrangement à celui de l’auteur … 

Ainsi, cet écrivain français du XXème siècle est honoré à travers une statue peu ordinaire. Un livre fantastique ne peut qu’aboutir à une œuvre atypique, n’est-ce pas ? Aventurez-vous donc sur la place Marcel Aymé dans le quartier de Montmartre, et vous tomberez nez à nez avec cette statue farfelue, qui ne peut qu’attiser la curiosité de tout flâneur parisien. Pensée et réalisée par l’écrivain et sculpteur Jean Marais, l’homme est emprisonné au sein d’un mur après avoir été soudainement immobilisé dans sa démarche. La position de ses bras dénote une volonté de faire ne serait-ce qu’un pas de plus, tandis que son visage possède la trace d’une farouche détermination à poursuivre son mouvement. Jean Marais a vu dans cette nouvelle fantastique une occasion d’intégrer au cœur du 18ème arrondissement une statue atypique rompant avec les traditionnelles statues de célébrités érigées sur des piédestaux où sont inscrits leurs noms en lettres dorées. Plus qu’une simple statue, le Passe-Muraille de Montmartre est une œuvre célébrant avec brio la nouvelle fantastique de Marcel Aymé.

Une œuvre à fonction herméneutique ?

Ce qui se dégage de l’analyse de cette œuvre, ce sont principalement des questionnements éthiques que l’art peut soulever. En effet, un certain malaise peut se faire ressentir face à cet homme condamné à une perpétuelle immobilité. Alors, face à cette statue, toute personne qui s’arrête pour l’observer peut se demander s’il est nécessaire de représenter concrètement la personne à qui l’on souhaite rendre hommage … Ou bien, cette œuvre peut être le point d’ancrage d’une toute autre réflexion plus métaphysique en rapport avec l’œuvre fantastique Le Passe-Muraille. En effet, Monsieur Dutilleul se retrouve figé dans un mur après avoir utilisé son pouvoir sans discernement ni modération. Une des leçons que ce récit peut soulever est la suivante : les actions des hommes sont modérées et limitées, et ceux qui osent défier les lois naturelles ne sauraient le regretter pour l’éternité. Car ce Monsieur Dutilleul, immobilisé dans un mur, gardera cette position pour toujours, contraint à une perpétuelle catalepsie. Il lui est impossible de s’en extraire. Par conséquent, ne vaudrait-il pas mieux se contenter d’une vie modérée en jouissant de plaisirs simples, plutôt que de chercher à exploiter à outrance une capacité qu’un être supérieur nous aurait offert, défiant ainsi cette entité transcendante et omnipotente ? 

Caroline Rousseau

Image : ©Le Passe Muraille, 2013, par Martine, CC BY-NC 2.0, Flickr

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