La représentation du rire dans la peinture occidentale fut pendant longtemps évitée. Ce rictus éloignait la figure peinte des canons de beauté alors en vigueur, qui prescrivaient plutôt un visage calme et sérieux. En effet, cette vision culturelle du rire est due à l’influence de la religion chrétienne qui voit cette démonstration de joie comme un trait de débauche et l’associe à l’imaginaire du diable.
Cette tendance perdure jusqu’aux peintres flamands de l’âge d’or néerlandais (période au XVIIe siècle d’épanouissement financier et culturel des Provinces-Unies, actuels Pays-Bas). Suite au développement du protestantisme puis du calvinisme, les peintures de scènes religieuses disparaissent, proscrites, pour laisser place aux portraits et à la peinture de genre : scènes de la vie ordinaire, natures mortes, paysages… Dans ce contexte apparaissent les premiers rires, en particulier dans la peinture de Frans Hals (1580~1583 – 1666).
Un peintre du quotidien à la renommée capricieuse
Bien que Hals ait été l’un de ces peintres flamands majeurs (avec Rembrandt, Rubens, Van Dyck, Vermeer…), beaucoup de détails restent flous sur sa vie. On ignore comment était son atelier et qui étaient précisément ses élèves, ses fréquentations sont inconnues et beaucoup de choses ont été perdues : aucune lettre éclairante n’a été conservée et nombre de ses tableaux ont disparus – entre 145 et 222 œuvres lui sont aujourd’hui attribuées, selon le site officiel dédié au peintre. Après avoir été oublié pendant deux siècles, il est redécouvert au XIXe siècle et élevé au rang de prodige, inspirant Manet, Courbet et d’autres. Ainsi Van Gogh, dans une lettre à son frère Théo, écrit à propos du peintre flamand : « Quelle joie de voir un Frans Hals, comme c’est différent des tableaux – si nombreux – où tout est soigneusement lissé de la même manière. »
Hals travaille en plusieurs couches, sans pourtant s’obstiner sur une toile : il peut cesser soudain de peindre et laisser achevée son œuvre avec cet aspect brossé, rapide, aux traits simples et francs. En 1929, l’historien de l’art Louis Gillet explique « C’est un enfant de famille magnifiquement doué et qui fait de la peinture pour vivre, cavalièrement, en gentilhomme, pressé de faire vite et d’en finir : le reste du temps en bon vivant […] avec des turbulences de conduite et d’humeur qui expliquent celles de sa brosse ». Ainsi, la plupart de ses tableaux sont des commandes de riches clients. Sans être lui-même fortuné, Frans Hals vit de ses portraits de clients seuls, de couples, de groupes et de scènes du quotidien, mais son amour pour la vie éclaire toujours ses toiles. L’expressivité issue de sa peinture brusque renforce la vigueur de ses figures et lui permet d’exprimer ces élans d’émotions vives, et en particulier : le rire.
La peinture à l’étude du rire : une émotion aux nombreuses expressions
En effet, au-delà d’être un grand maître du portrait, sa carrière lui forge le surnom de « maître du rire ». Il aime représenter cette joie publique sur beaucoup de ses toiles, à travers ses diverses formes d’expression possibles. Dans Le Cavalier riant (1624), Hals peint une figure noble affichant un rictus maîtrisé et légèrement ironique qui répond à la grande richesse des habits. Dans La Bohémienne (1630), il fait le portrait d’une jeune prostituée, puis revient à ce tableau en y ajoutant ce célèbre rire et en la dénudant davantage : le rire devient alors une vulgaire invitation lascive, censée aguicher le spectateur. Il peut être la grimace affreuse d’une vieille femme (Barbara la folle, 1635), l’expression de l’innocence (Jeune garçon riant, 1625), d’une fierté (Le jeune pêcheur, 1632), ou l’allégorie douce des plaisirs de la musique (Garçon jouant du violon, vers 1630 ; Le Bouffon au luth, 1624)…
En 1908, dans son étude Frans Hals, André Fontainas résume cette riche force du rire dans l’œuvre de Hals, à qui même la vieillesse ne fera renoncer à la présence de ces joies sur ses figures : « Mais un pouvoir appartient exclusivement en propre à Frans Hals, le pouvoir personnel d’exalter le rire. Le rire, sous toutes ses formes, à tous ses degrés ; le sourire indulgent, réticent ; le rire aigu, le rire épanoui, le rire qui illumine de gaietés fugitives les lèvres et les yeux ; le rire qui creuse les lignes du visage, coule aux coins retroussés de la bouche, agite de soubresauts le corps entier ; le rire grossier, caricatural ; le rire ample et bon enfant ; le rire plus discret, même subtil et mystérieux ; le rire dans ses variétés infinies, de bonté, de bonhomie ou d’amère ironie, fleurit et enchante une grande partie de son œuvre. »
Malgré son essor nouveau, le rire dans la peinture du XVIIe n’en est pas pour autant dénué de connotations péjoratives. Il reste utilisé en grande majorité pour représenter des personnages moralement vils (comme les sorcières, figures vieilles et difformes agissant hors des codes de la société) ou débauchés, soit issus de milieux populaires où l’éducation des « bonnes manières » est rare, soit issus de tavernes, où l’expression des passions y est plus difficile à retenir.
Constantin Jallot
Sources :
https://www.beauxarts.com/encyclo/lage-dor-neerlandais-en-2-minutes/
https://www.frans-hals.org/biography.html
https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/les-sourires-de-frans-hals-le-134052
https://www.tableauxcelebres.com/oeuvres/peinture/la-bohemienne.html
https://arthive.com/fr/exhibitions/514
Œuvres :
Couverture : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Frans_Hals_021.jpg?uselang=fr
https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Cavalier_soldier_Hals-1624x.jpg
https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010060266
https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Frans_Hals_-_Lachende_jongen.jpg
https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Hals,_Frans_-_Fisher_Boy_-_1630-32.jpg
https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Boy_Playing_A_Violin_hq.jpg?uselang=fr