Molière et la satire de la préciosité en un acte
L’Avare, Le Tartuffe, Les Fourberies de Scapin, Le Malade imaginaire, sont autant de comédies que Jean-Baptiste Poquelin, plus connu sous le nom de Molière, a écrites. Dans ce florilège d’œuvres théâtrales, Les Précieuses ridicules s’inscrit comme la satire d’une bienséance exagérée chez les femmes des salons mondains, au XVIIe siècle, durant l’Ancien Régime.
Tout d’abord, intéressons-nous au terme de préciosité. Selon l’édition des Précieuses ridicules préfacée, annotée et commentée par Claude Bourqui, professeur en littérature française ainsi que spécialiste du théâtre français et européen du XVIIe siècle, « Presque dès ses premières apparitions, le terme a une connotation péjorative. […] la précieuse, comme son nom l’indique, veut se donner du prix, […] se distinguer de la masse et s’applique trop fermement, trop lourdement à l’activité mondaine. Elle bascule dans l’excès, perd donc la retenue ludique, et atteint au ridicule. ».
Le théâtre de Molière, une nouvelle ère du rire
Ainsi, nous comprenons par conséquent les raisons qui ont poussé Molière à s’inspirer de ces précieuses pour en faire une comédie. Cette pièce est une œuvre du dramaturge parmi pas moins de 34 différentes. Les Précieuses ridicules est la première comédie imprimée de Molière. L’artiste prend parti pour une vision moderne et novatrice du théâtre, de laquelle se détache une gestuelle beaucoup plus présente que par le passé. Le jeu d’acteurs devient donc une priorité, dans l’optique de faire transparaître tout ce que l’écrit ne donne pas à voir.
Pour ce faire, Molière procède en seulement un acte. En ce seul acte réside douze rôles différents. Ici, Madelon et Cathos sont les précieuses, s’illustrant par leur sempiternelle arrogance quant à leurs domestiques : « Madelon : Apprenez, sotte, à vous énoncer moins vulgairement. Dites : « Voilà un nécessaire qui demande si vous êtes en commodité d’être visibles. » » (scène 6). Par cette réplique, Madelon reprend sa servante, Marotte, afin que celle-ci s’exprime d’une manière plus convenable. Le comique de mots est palpable, en tant que le langage soutenu est poussé à son paroxysme par Madelon, permettant dès lors à Molière de faire la satire d’une telle attitude : aristocratique, mondaine, bienséante, mais risible.
Le rire dans les limites de la royauté
L’objectif pour le dramaturge était de conjuguer rire et pertinence, sa pièce pouvant être rejetée par le roi. Effectivement, ce dernier, avant la publication, avait le pouvoir d’accepter ou d’écarter toute œuvre qui serait en désaccord avec les mœurs exigées par l’époque. Molière ne pouvait ainsi pas critiquer frontalement le système monarchique, la noblesse ou le clergé. L’auteur étant contemporain de Louis XIV, et qui plus est dans son entourage proche, il devait absolument s’assurer les bonnes grâces du roi Soleil au risque de perdre sa réputation au sein de la Cour. Au même titre que Jean de La Fontaine et ses Fables, Molière use donc d’un humour détourné et subtil afin de ne pas s’attirer les foudres des puissants.
Plus que tout, Molière tend à s’éloigner d’un dogmatisme humoristique qui lui porterait préjudice. A propos des Précieuses ridicules, il dira même que « les véritables précieuses auraient tort de se piquer lorsqu’on joue les ridicules qui les imitent mal ». Le contemporain de l’Ancien Régime a pour réelle visée d’exprimer, par le biais de son œuvre, le dicton latin « castigat ridendo mores », soit « corriger les mœurs par le rire », sans pour autant négliger la présence d’une morale implicite.
Le rire, et après ?
Ici, le rire laisse rapidement place à une forme de sarcasme, d’ironie, celle-ci s’attaquant aux illusions d’une connaissance intarissable chez les précieuses. Par une culture littéraire apparemment complète mais s’avérant en réalité illusoire, les précieuses donnent le pas, de manière hyperbolique, à des mœurs du XVIIe siècle erronées et fictionnelles. Bercées par la naïveté de l’esprit humain croyant en la vie romanesque, les précieuses forment le terreau de l’inspiration dramaturgique qui donne lieu aux Précieuses « ridicules », adjectif qualificatif les enfermant dans une dignité caricaturée et raillée à l’extrême.
En plein contexte restrictif d’une royauté cheffe d’orchestre de la censure, Molière est tout de même parvenu à se faire sa place dans la littérature française et mondiale. Au palmarès impressionnant d’inspiration, nombreuses de ses pièces restent connues du grand public, dépassant les générations et les classes sociales. « Le théâtre, c’est la vie ; ses moments d’ennui en moins. » disait Hitchcock.
Doryann Lemoine
Image : © Frontispice d’une édition de 1840 : « Théâtre français – Œuvres de Molière », Éditeurs Martial Ardant frères, photographie par Jodelet/Lépinay, 7 mai 2006, CC BY-SA 2.5