Symbole du passé et de l’histoire très proche entre la France et le Québec, la mythification de Jacques Cartier est d’autant plus importante par l’absence totale de portrait authentique du navigateur et de documents iconographiques. Si aucune image sur cet homme n’est parvenue jusqu’à nous – et si son vrai visage restera un mystère pendant encore longtemps – il n’en reste pas moins que de nombreux peintres ou graveurs ont créé autour de lui une sorte d’« aura » échafaudant de nombreux portraits et représentations découlant de leur imagination.
Le portrait de Jacques Cartier le plus célèbre est celui réalisé en 1848 par le peintre québécois Théophile Armel. Mais celui-ci est en fait une imitation d’un autre portrait du navigateur – aujourd’hui disparu – réalisé en 1839 par le peintre François Riss pour la ville de Saint-Malo en Bretagne.
Jacques Cartier est un homme qui a fait l’histoire considéré par certains comme le « Christophe Colomb du Canada ». Tout comme Christophe Colomb qui, arrivant sur une île de l’archipel des Bahamas, donna le nom d’ « Indiens » aux habitants de la région, persuadé d’avoir atteint l’Asie, Jacques Cartier, engagé pour trouver le fameux passage vers l’Asie, pensa le trouver lorsqu’il emprunta, en réalité, le détroit de Belle-Isle. Ainsi, ce sont deux grandes découvertes hasardeuses, deux grands hommes, deux grands mythes.
D’après l’historien canadien Marcel Trudel : « On lui attribue habituellement la découverte du Canada, désignant par-là la mince région du Québec à laquelle il donne le nom de Canada durant son expédition de 1535. Il est le premier explorateur du golfe du Saint-Laurent et certainement le premier à tracer la cartographie du fleuve Saint-Laurent, dont la découverte, en 1535, a permis à la France d’occuper l’arrière-pays de l’Amérique du Nord (…) Cartier figure parmi les grands noms du XVIe siècle (…) Il est le premier à décrire la vie des Indiens du Nord-Est de l’Amérique du Nord (…) Découvreur d’un des grands fleuves du monde, Cartier est au point de départ de l’occupation par la France des trois quarts d’un continent ».
Jacques Cartier se distingue des autres pour plusieurs raisons : outre les expéditions qu’il a menées au Canada, il fut l’un des premiers avec son équipage à survivre à un hiver rude qui sévissait dans ses contrées, ainsi que celui qui est à l’origine des personnages « coureurs de bois » français qui peuplent la littérature populaire de l’Ouest de la France. D’après le journaliste Alexandre Sumpf : « Jacques Cartier est présenté comme un précurseur non de la découverte de nouvelles terres, mais de l’installation français outremer ». En effet, les découvreurs de ces terres furent les Vikings (1000 ap. J.C.), voire potentiellement les Austronésiens (700 ap. J.C.). Son passage en Amérique amènera chez les Français un désir de conquête plus grand à l’image de Napoléon III au Mexique en 1867 ou encore à l’idée du canal de Panama lancée en 1880 par Ferdinand de Lesseps. Selon Alexandre Stumpf : « la foi catholique (et non protestante) de Cartier permet de le faire passer pour un évangélisateur (ce qu’il n’était pas vraiment dans les faits). Si, en 1889, il est encore le découvreur de la ville de Québec, en 1934, récupéré par l’Etat fédéral (anglophone), il est celui du Canada ». De surcroît, il figure parmi les grands noms du XVIe siècle.
Néanmoins derrière ce grand homme et ses grandes découvertes se cachent certaines choses que l’on veut ourdir et qui détruiraient toute la mythification qui s’est érigée autour de lui. En effet, lors de son troisième voyage en 1541-1542, Cartier n’est pas nommé commandant de la flotte car cette excursion avait pour objectif de commencer la colonisation du Canada et de propager la foi catholique. L’homme de cour qui prit la tête de l’expédition se nommait Sire de Roberval. Mais, Roberval prenant du retard, Cartier décida de prendre la mer sans l’attendre. Durant cette nouvelle expédition, Cartier cumule de « l’or et de l’argent », richesse négociée avec les Iroquois du Saint-Laurent. Fier d’avoir trouvé un butin inestimable sans son commandant, lui et son équipage s’empressent de retourner en France pour les faire expertiser en laissant derrière eux les installations de la nouvelle colonie. Mais, durant le mois d’août 1542, sur le chemin du retour, Cartier croisa son commandant Roberval. Ce dernier lui ordonna de rentrer au Canada. Il refusa et retourna en France. Il préférait désobéir au profit du trésor qu’il apporterait au roi.
Malheureusement, après les analyses, il s’aperçoit qu’il a été dupé par les Iroquois qui ne lui ont donné que de simples « jolis cailloux », qui ne sont en réalité que de la pyrite et du quartz, sans valeurs ; d’où la fameuse expression « faux comme des diamants du Canada ». Il subit une véritable humiliation. D’autant plus que sur place, les Français étaient victimes du froid et du scorbut ; leur nombre et leur organisation étaient moindres comparés à ceux des autochtones. Sa décision de rentrer en France – plutôt que de rester sur place et installer la colonie avec son expérience et ses hommes – causa la ruine de sa fortune personnelle et les projets de la Nouvelle-France : un véritable échec.
Jessy Lemesle
Couverture : © Jacques Cartier par Théophile Hamel, 1844, Domaine Public