Site icon Alma Mater

Riot Grrrl ou la réappropriation de la scène punk rock par les femmes

1976, avec seulement quatre mots, le magazine punk londonien, Sniffing Glue, évince les femmes de la scène punk. Tandis qu’elle se façonne au rythme des colères de la jeunesse américaine des années 90, le « Punk are not girls! » énoncé quatorze ans plus tôt reste de mise. Ainsi, naît la frustration et la colère d’une génération de femmes que personne ne veut entendre. C’est alors, armées d’une guitare, d’un micro et d’un crayon, que s’impose le mouvement punk et féministe « Riot Grrrl » car, pour nombreuses d’entre elles, c’est l’heure de la révolte.

© Bikini Kill

Du crayon à la scène, les prémices du punk féministe

Au début des années 90, d’inhabituels bourdonnements de basse et saturations de guitares électriques se font entendre : les femmes débarquent sur la scène punk, lassées de l’éternel rôle de la groupie. En un instant, elles se saisissent de ce mouvement et de ses origines afin d’en créer leur propre version. Dans une Amérique où le FBI signale qu’¼ des femmes ont déjà été violées, la naissance du « fanzine » féministe apparaît comme nécessaire. À travers « Jigsaw » ou encore « Girls Gems », elles dénoncent le sexisme, les violences conjugales, sexistes et sexuelles et prônent la sororité, tant dans la société que dans la musique. Ainsi, des voix, dont celle d’une certaine Tobi Vail, se dressent alors contre le punk, musique « par et pour des hommes » (Jigsaw). Peu à peu, créatrices et lectrices de fanzines féministes montent leurs groupes, diffusant leur discours dans leurs chansons. Partageant leur vision d’une scène punk sexiste, Tobi Vail et Kathleen Hanna créent, en octobre 1990, l’illustre groupe Bikini Kill ; tandis que Allison Wolfe et Molly Neuman, fondatrices de Girls Gems, fonde, en février 1991, Bratmobile.

© Concert de Bratmobile à Leicester en 1994 (chant : Allison Wolfe, guitare : Erin Smith, batterie : Molly Neuman)

De « Rebel Girl » à « Cool Schmool », l’esthétique d’une scène punk féministe s’esquisse et suscite de plus en plus la curiosité. C’est dans une lettre destinée à Allison Wolfe, prêchant une révolte féministe, qu’apparaît pour la première fois le terme : « Riot Grrrl ».

© « Rebel Girl », Bikini Kill (1990) : chanson majeure du mouvement Riot Grrrl produite par Joan Jett

Dans les années 90, les colères sont plurielles : l’heure est à la contestation.  Ainsi, Tobi Vail, dont la voix est encore pesante, rédige le « Riot Grrrl manifesto ». Inspiré des luttes contemporaines et des mouvements anti-racistes, il appelle les femmes à se saisir d’un micro et rompre l’équation « GIRL = DUMB. GIRL = BAD. GIRL = WEAK » (ndt : « FILLE = STUPIDE. FILLE = MAUVAIS. FILLE = FAIBLE »). De plus en plus scrutée, la scène punk féministe se forge dans les moindres détails. Maquillage excessif, robes enfantines, lingerie apparente et queues de cheval, le style « Kinderwhore » se présente comme une satire de l’image puritaine de la femme. Cependant, la mouvance provocatrice du punk n’est pas loin. Se jouant du statut de « femme-objet », certaines artistes se revendiquent alors « Bitch » (ndt : « putes »), « Slut » (ndt : « salopes ») comme le groupe 7 Year Bitch ; et exhibent leurs seins et leurs culottes en plein concert.

© « Bruise Violet », Babes in Toyland (1992) illustrant le parfait contraste du style « Kinderwhore » et des prestations de Riot Grrrl

Les Riot Grrrl, les seules féministes de la scène rock ?

De plus en plus répandues, les Riot Grrrl deviennent le miroir d’une jeunesse féminine révoltée. Impressionnés par la puissance de leur musique et l’importance de leur combat, les hommes se joignent à la lutte, se servant de leur notoriété pour les mettre en lumière. Ainsi, en 1991, le célèbre groupe de rock alternatif Nirvana participe à un concert caritatif en faveur du droit à l’avortement intitulé « Rock for Choice » et initié par le groupe punk féministe L7. L’année suivante, le leader de Pearl Jam, Eddie Vedder, s’affiche ouvertement pour lors du MTV Unplugged, écrivant les termes « Pro Choice » sur son avant-bras au marqueur. Même si les Riot Grrrl s’affirment féministes, elles ne monopolisent en rien cette thématique. Kim Gordon, bassiste et chanteuse à temps partiel de Sonic Youth, groupe de rock indé fondé avec son conjoint Thurston Moore, en est le parfait exemple. Avec le célèbre « Fear of the female planet », la chanson « Kool Thing », mêlant hip-hop et rock alternatif, tourne à la dérision les hommes craignant la révolution féministe.

© « Kool Thing », Sonic Youth (1990)

La fin des 90’s ou la fin d’une époque féministe ?

Au fil des années, l’Amérique politique se méfie de ce mouvement, jugé trop radical. Les médias, eux, se divisent sur le sujet. Certains, réfractaires, entament une campagne de décrédibilisation allant jusqu’à traiter les membres de « feminazis » ; et, plusieurs stations de radios décident de ne plus diffuser leur musique. Sous la pression, de nombreuses artistes se désolidarisent du mouvement et refusent de participer au festival Lollapalooza en 1993 aux côtés de Babes in Toyland et L7. De ce fait, la révolte punk féministe s’essouffle. Certaines artistes, comme Kathleen Hanna, tentent de continuer le mouvement en créant de nouveaux groupes ; mais l’heure n’est plus à la révolte.

© Pochette de l’EP « Shove » du groupe L7 (1990)

Durant les années 90, cette nouvelle scène punk oblige le monde à ne plus nier la condition des femmes, permettant aux générations futures de pouvoir chanter des thématiques féminines et féministes. Selon l’association Women’s Audio Mission, les Riot Grrrl auraient nettement contribué à une plus grande diffusion des voix féminines. Malgré une belle initiative et une détermination hors pair, elles ne créent pas l’unanimité au sein de leurs consœurs, jugées de servir des luttes queer et anti-racistes pour attirer l’attention. Très vite, leur musique devient ce qu’elle dénonçait : une affaire de femmes blanches pour des femmes blanches comme ce que soulignait le Newsweek en 1992. À cette critique, Johanna Fateman, membre du groupe Le Tigre fondé avec Kathleen Hanna, se défend : « Comment les filles, issues de la population majoritairement blanche du punk, qui s’appuient sur les ressources et l’esthétique de cette scène, pourraient-elles forger un programme révolutionnaire réellement inclusif ? », balayant d’un revers de main, les promesses d’inclusivité et de sororité longuement développées dans les fanzines.

Meylicia Caprice

Sources :

https://www.bitchmedia.org/post/why-i-was-never-a-riot-grrl

https://www.terrafemina.com/article/riot-grrrl-pourquoi-ce-mouvement-punk-feministe-etait-si-revolutionnaire_a358530/1

https://www.madmoizelle.com/riot-grrrl-113519

Couverture : © Bikini Kill

Quitter la version mobile