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« Ils sont fous, ces Romains ! »

L’Iris blanc ou la satire de la pensée positive

Le 26 octobre dernier, était publié le dernier album des aventures d’Astérix. Ce dernier volume est tout particulier, puisqu’il s’agit du quarantième des aventures du petit Gaulois rusé. La bande dessinée (BD) est surprenante à bien des égards, mais demeure fidèle à elle-même. Amis parisiens, peut-être vous reconnaîtrez-vous dans cette satire de 48 pages…

Fabcaro au scénario : bingo !

Fabrice Caro, célèbre sous le nom de Fabcaro, est un écrivain de bande dessinée. L’auteur de Zaï zaï zaï zaï (2015) et de Et si l’amour c’était aimer ? (2017) remet le couvert avec L’Iris blanc, et se fait une place dans la famille d’Astérix aux côtés de Didier Conrad, le dessinateur qui a désormais six tomes à son actif. L’Iris blanc conte les aventures des Armoricains réfractaires, et est édité d’entrée à cinq millions d’exemplaires. Il est traduit en plus de vingt langues et dialectes. Ce succès, en France comme à l’international, Fabcaro n’hésite pas à le qualifier de « vertigineux ». Au micro de France Culture, le scénariste confie son ressenti : « Il vaut mieux éviter d’y penser [au succès] quand on le fait, il vaut mieux se couper et rester concentré ». Fabcaro, en nouveau venu, reste les pieds sur terre et affirme sa volonté de ne pas bouleverser l’essence même de la BD, tout en apportant son empreinte : « C’est très codifié, il y a un cahier des charges ; j’ai essayé de faire un vrai Astérix […] j’ai distillé çà et là des choses qui me sont un petit peu propres […] avec les banquets, les bagarres, les jeux de mots. ». On observe dès lors l’habileté avec laquelle l’auteur a dû opérer systématiquement pour allier naturel et originalité.

La pensée positive : cible des projecteurs

Vous reconnaîtrez peut-être en Tullius Vicévertus, l’antagoniste de ce volume, les personnages de Bernard-Henri Lévy (BHL) et Dominique de Villepin. Il s’agit justement d’un entremêlement des deux : « On cherchait des modèles dans la vie réelle qui pouvaient nous servir d’inspiration ». On commence par en sourire, puis on apprend que le personnage de l’antagoniste en lui-même a été l’objet de nombreuses réflexions. Ayant d’abord dessiné un personnage jeune, en communion avec son époque, Conrad lui substitue rapidement un autre plus âgé, et surtout plus expérimenté. Le but était que celui-ci soit suffisamment crédible pour être le médecin en chef de Jules César : « On a gardé les cheveux de BHL […] et on a gardé la gestuelle et le côté prestigieux de Dominique de Villepin ». Ainsi naquit Vicévertus, porte-parole de la pensée de l’iris blanc, entendez la pensée positive. Un mode de pensée qui fait réagir dans le village gaulois : « Non mais qui c’est celui-là ? En quel honneur il te souhaite une belle journée avec ses cheveux soyeux, là ? ». Ordralfabétix découvre que pêcher le poisson qu’il vend n’est pas si mal et même la musique du barde Assurancetourix semble agréable à entendre. Les phrases alambiquées du rusé Romain se répandent comme autant de poèmes suaves. Les villageois découvrent une civilisation qu’ils ne connaissent pas, guidée par « les sources locales », les aléas de la Société Nouvelle du Commerce et du Foin (SNCF), ou encore l’art moderne dans les galeries huppées de Lutèce.

La capitale et la province : une animosité en BD

Vicévertus comme mélange entre Lévy et Villepin n’est pas un hasard. Ces deux personnalités incarnent l’archétype de l’élite parisienne porteuse de belles maximes soporifiques. On note d’ailleurs la perception que Vicévertus a de l’Armorique. Tout y est positif, y compris le poisson faisandé d’Ordralfabétix ou encore le bruit dissonant du marteau sur l’enclume de Cétautomatix. Lorsqu’on avance dans la lecture de L’Iris blanc, on réalise avec amusement que la pensée positive se propage comme un virus, et ce jusqu’à contaminer les sangliers : « Un esprit sain dans un porcin ». À l’instar des précédents tomes d’Astérix, tout est sujet à caricature. Les « bobos parisiens », comme Fabcaro les désigne, sont dépeints tels des gourous dont la religion serait le développement personnel poussé à son paroxysme le plus risible. Peut-on décemment voir l’existence comme un long fleuve tranquille ? Le positif doit-il être de mise dans des circonstances qui ne s’y prêtent pas nécessairement ? Ce qui est redoutablement efficace dans cette satire, c’est avant tout son lien très étroit avec l’actualité. L’exposition caricaturale du décalage entre province et Lutèce est palpable. Les Gaulois sont montrés comme des brutes épaisses incapables de douceur et de subtilité. A contrario, les habitants de Lutèce apparaissent comme la quintessence bourgeoise à la fois élégante mais indiscrète, à la dernière mode mais totalement déconnectée de la vie réelle. Une attitude paradoxale car le proverbe “ peace and love ” laisse bien souvent la place aux plaintes et râleries pour lesquelles les Parisiens demeurent encore aujourd’hui mondialement connus.

Toujours est-il que les caractéristiques inhérentes à la série n’ont pas empêché ce numéro de sortir du lot. On retiendra notamment le différend entre le chef Abraracourcix et sa femme Bonemine à propos du partage des tâches au sein de leur couple.

Doryann Lemoine

Sources :

https://www.lefigaro.fr/bd/peace-and-love-chez-les-celtes-on-a-lu-l-iris-blanc-le-nouvel-album-d-asterix-20231025

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