Une crise de fond pour la protection de l’enfance
En manque de places, de professionnels et d’argent, l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) souffre de plusieurs plaies. L’entreprise décentralisée en 1984 peine à pourvoir à sa mission centrale : protéger les enfants contre les vices qu’ils subissent dans leurs familles. Alma Mater se penche sur la crise que traverse l’ASE ces dernières années.
Une mission compromise
Selon l’article L 221-1 du Code de l’Action Sociale et des Familles, l’ASE a pour mission d’« apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique à des mineurs, à leur famille, aux mineurs émancipés et aux majeurs âgés de moins de 21 ans confrontés à des difficultés sociales susceptibles de compromettre gravement leur équilibre ». À cette définition théorique et juridique se substitue bien souvent une réalité beaucoup plus rude et crue. Vous rappelez-vous cette publicité diffusée sur TF1, où l’on est dans la tête d’une petite fille redoutant l’arrivée de son père ? Vous l’aurez compris, la réalité gérée par l’ASE est très noire. Sont répertoriés les cas d’inceste, de viol et toute sorte de violence intrafamiliale.
Généralement, l’ASE est sollicitée en cas de signalement, officiellement nommée information préoccupante (IP). Les écoles auxquelles les enfants sont scolarisés ont le pouvoir de procéder à un signalement. Ce dernier tombe alors entre les mains du président du conseil départemental, qui a le pouvoir de le signaler au parquet de Paris. Ensuite, le procureur de la République peut confirmer ce diagnostic et saisir un juge des enfants. Celui-ci, après avoir débattu de la situation, est en mesure d’ordonner officiellement une mesure de protection.
Or, cette mission qui semble si simple sur le papier ne l’est pas en 2023. Depuis plusieurs années, l’ASE, qui s’occupe actuellement de plus de 370 000 enfants et jeunes majeurs en difficulté, n’est plus en mesure de traiter efficacement toutes les requêtes qui lui sont faites. Situation plutôt ironique, voire presque cynique, quand on constate que la puissance publique est finalement incapable d’appliquer ses propres préconisations.Présentement, nous savons que pour la mise en place de mesures éducatives par un juge pour enfants à Bobigny, il faut attendre environ un an. Ce qui fait que de nombreux jeunes, durant ce laps de temps, peuvent développer des troubles psychiatriques plus ou moins sévères ou entrer dans la délinquance. Un an, cela reste 365 jours.
Les mineurs étrangers non accompagnés : la goutte d’eau dans un vase qui déborde déjà
Les mineurs étrangers non accompagnés (MENA) sont de plus en plus nombreux ces dernières années. Selon Le Monde, « près de 44 000 » mineurs isolés ont été confiés à l’ASE durant l’année 2023, ce qui représente un record par rapport à l’année 2018. Cela fait évidemment beaucoup plus de dossiers à suivre pour l’ASE qui tire la sonnette d’alarme : « à l’époque, on n’avait pas tous les indicateurs au rouge », alerte le président de l’Assemblée des départements de France (ADF). Cela amène le collectif à s’adresser directement au gouvernement, implorant une meilleure gestion de l’immigration : « la crise actuelle due aux mineurs non accompagnés est venue emboliser un système déjà en tension extrême, conduisant parfois des présidents [de départements] à ne pas pouvoir exécuter des décisions de placements dont ils sont comptables pénalement » lance l’ADF dans une lettre ouverte à l’ancienne Première ministre Élisabeth Borne.
La saturation des lieux de placement de l’ASE amène les instances départementales à prendre des décisions radicales. Le département de l’Ain a ainsi choisi, en dépit de la loi, de ne plus accueillir de mineurs isolés qui sont alors contraints de se rendre dans les districts voisins, dans des infrastructures où règne le même problème de fond… Charlie Hebdo ne s’est d’ailleurs pas fait attendre sur cet écart du département d’Auvergne : « Face à l’afflux de mineurs non accompagnés, le département de l’Ain a pris début décembre la décision de suspendre la prise en charge de ces jeunes. Tout simplement. […] Pourquoi s’emmerder à accueillir les migrants, quand il suffit de décider de ne plus respecter la loi ? » ironise ainsi le journal satirique.
La recentralisation est la solution… Ou pas
Le choix opéré par l’Ain ne l’est pas forcément par l’autre. Aussi, la disparité des politiques appliquées au sein du territoire métropolitain est pointée du doigt. Pourtant, la décentralisation de l’ASE en 1984 avait justement pour but de permettre aux élus locaux de prendre les décisions en fonction des besoins des territoires. En effet, on reprochait à l’État, par ses décisions unilatérales, d’être trop éloigné de la réalité. Donc, on a essayé un autre système, qui, en 2023, s’avère tout aussi défaillant. Pour des raisons toutefois différentes. « [l’État] s’est tenu jusqu’à peu déchargé. Il a ainsi négligé de gérer à la hauteur exigée ses compétences propres comme le service social scolaire, la santé scolaire, la psychiatrie infantile ou les réponses aux handicaps. », dénonce Le Monde.
Dans un article intitulé « Enfants maltraités, l’ordre des médecins règne », Charlie Hebdo rend compte de ce qu’a vécu une pédopsychiatre il y a plusieurs années. Témoin de première ligne de violences faites à une petite fille, le docteurfait un signalement. Poursuivie par le père pour avoir averti directement le juge des enfants au lieu de suivre la longue procédure décrite plus haut, la pédopsychiatre se voit infliger un avertissement. « Un avertissement, c’est la sanction la moins sévère. J’aurais pu me taire, comme me le conseillaient mes avocats ». Le frère de la petite fille s’est pendu peu de temps après. Face à une procédure laborieuse, des politiques éparses et de nouvelles problématiques, faut-il taire la réalité et délaisser de jeunes gens dans le besoin ?
Doryann Lemoine
Sources :
https://charliehebdo.fr/2023/06/sciences/sante/enfants-maltraites-lordre-des-medecins-regne/
https://charliehebdo.fr/2023/12/societe/mineurs-non-accompagnes-allez-voir-ailleurs-departement-est/