« Ainsi toute notre vie oscille, comme un pendule, de droite à gauche, de la Souffrance à l’Ennui. » – Schopenhauer.
Dans ce contexte, la Souffrance est une volonté inassouvie, par exemple la soif ou la faim. L’Ennui est au contraire l’assouvissement de cette envie entraînant directement la disparition du désir (lorsque nous avons bu, nous n’avons plus soif, soif qui est à la fois souffrance et désir).
L’ennui est cet état qui n’appartient ni au bonheur, ni au malheur, qui consiste en une absence d’envie, et que l’on pourrait qualifier de terne et fade en ressenti. Nous ne voulons rien, nous ne prenons de plaisir ou de malheur en rien, rien ne nous attire, mais rien ne nous rejette. C’est ça l’Ennui de Schopenhauer.
La Souffrance étant une idée qui nous apparaît trivialement négative, le fait que les deux termes soient mis en opposition pourrait nous laisser penser que l’ennui lui est préférable. Seulement… l’est-il?
Nous passons notre vie à fuir l’ennui, que ce soit en jouant sur notre téléphone ou en faisant défiler le fil d’actualité de n’importe quel réseau social sans y porter le moindre intérêt, si ce n’est celui de donner un point d’ancrage à notre cerveau pour qu’il ne s’ennuie pas. Et encore, on ne parle souvent que d’une dizaine de minutes. Posez-vous la question : quelle est la dernière fois que vous n’avez rien fait pendant une heure ? Non pas rien fait d’utile, mais rien fait du tout.
Nous exécrons tellement l’ennui qu’une expérience a récemment montré que nous y préférerions la douleur. Des personnes étaient placées dans une pièce vide avec seulement un bouton qui, s’il était pressé, leur envoyait une décharge. Ces personnes avaient au préalable répondu qu’elles étaient prêtes à donner un peu d’argent plutôt que de ressentir une douleur dans la vie de tous les jours. Elles étaient dans cette pièce pendant 6 à 15 minutes. À terme, 50% des cobayes s’étaient administré la décharge. Pourquoi fuit-on l’ennui à ce point ?
Déjà parce que le fait de laisser nos idées aller et venir apporte des pensées moins joyeuses et qui demandent plus de réflexions que celles qui nous viennent dans un cadre d’accaparement de l’attention. Mais c’est avant tout par habitude que nous faisons ça. Nous évoluons dans un environnement tellement présent autour de nous, dans les constants signaux qu’il nous envoie, dans la volonté de faire vite, que ne rien faire est devenu pour nous une sortie de la zone de confort que l’on s’est construite.
Nous sommes mal à l’aise dans l’inactivité.
Or l’inactivité est très exactement ce qui arrive avec l’ennui, alors nous faisons tout pour fuir cet état quitte à y préférer, finalement, une souffrance pénible, mais bien présente au bout d’un quart d’heure seulement.
Sauf que l’inactivité permet aussi de prendre du recul, de penser à de nouvelles choses, d’élargir notre vision d’une situation et il a été montré que cela contribuait au bien-être personnel.
Il serait peut-être bon, finalement, que nous envisagions de prendre parfois un peu de temps pour s’ennuyer et se laisser penser.
Antonin CARDINAUD