Philosophie des sciences

Et science de la philosophie

L’intrusion de concepts « philosophiques » ou de théories « métaphysiques » dans les sciences naturelles est souvent vue avec scepticisme et défiance par les scientifiques. Trop promptes à affirmer des choses sur la nature, les doctrines philosophiques seraient trop sûres d’elles-mêmes, là où les sciences naturelles sauraient fonctionner avec des hypothèses empiriquement vérifiables. Au contraire, la philosophie, évoluant dans une forme d’abstraction, se voit généralement reprocher son attachement à rester dans le monde irréfutable des idées, là où toute théorie scientifique moderne se veut attachée au réel empiriquement observable et analysable, pour élaborer des énoncés qui pour être scientifiques doivent non seulement pouvoir être vérifiés mais surtout réfutés. Il y a ainsi une tendance assez facile à se satisfaire d’une opposition schématique entre la philosophie, domaine des « Idées », et les sciences naturelles, fonctionnant avec observation, hypothèse et méthode.

Pourtant, nombre de philosophes ont cherché à fonder leur raisonnement sur un modèle emprunté aux sciences : de l’antique Aristote, qui s’est inspiré de la biologie de son temps pour sa Physique ou science des choses de la nature, à Kant, en passant par Descartes, dont le Discours de la méthode entend fonder une nouvelle compréhension des sciences et de l’homme avec une rigueur quasi mathématique. Kant justement, dans l’introduction de sa Critique de la raison pure, formule le projet de mettre la philosophie sur la voie d’une science. Il assigne un rôle de guide à la raison, qui a selon sa conception le rôle d’ordonner la somme des connaissances humaines selon un but : c’est grâce à la raison que le scientifique, qui interroge la nature, sait où il va. Mais ce but vers lequel convergent les recherches scientifiques est bien plus large et implique une compréhension, un savoir différent de celui de la science en question.

Certains phénomènes historiques, identifiés par l’histoire des sciences, permettent de mieux comprendre le rapport que science et philosophie entretiennent. Appelées révolutions scientifiques d’après la théorie de Thomas S. Kuhn dans La Structure des révolutions scientifiques, elles désignent un changement historique de paradigme à un moment donné de rupture à partir duquel il devient impossible de « faire de la science » comme il était jusque-là d’usage. Or, cette notion de paradigme engage aussi bien la pratique des sciences naturelles que la réflexion conceptuelle : jusqu’à Galilée et Copernic, l’astronomie se faisait dans le cadre du géocentrisme, où la Terre était conçue comme le centre immobile autour duquel tournaient les astres ; une conception directement ancrée dans des principes physiques et cosmologiques dont les bases avaient été posées par Aristote.

Ces épisodes révolutionnaires mettent en évidence la correspondance entre la pratique de la science et une certaine « vision » de ce qu’est le savoir. S’il avait continué à penser dans le cadre du mouvement naturel et non dans le cadre de l’héliocentrisme, il eût été impossible pour Galilée de mettre en place les expériences qui lui ont permis de théoriser la relativité du mouvement et le principe d’inertie. De même, toutes les recherches modernes trouvent dans la formulation de la théorie de la relativité, qui implique elle-même l’introduction du principe de relativité en physique, un paradigme selon lequel orienter leur travail.

Sciences et philosophies ont ceci en commun qu’elles font appel à la réflexion, puisqu’il s’agit à chaque fois de l’examen d’un problème, et de la position de ce problème dans un champ plus vaste où il prend sens non plus individuellement mais en rapport avec le reste des questions de la discipline, qui déterminent ce qu’est le savoir à un moment donné. La philosophie est alors complémentaire, sous la forme de l’épistémologie ou bien encore de l’éthique, pour rappeler que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme », comme l’écrivait Rabelais.

Alexandre IAGODKINE

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