De nos jours, les gorilles des montagnes sont menacés de disparition à plusieurs égards. Entre instabilité politique, maladies infectieuses et braconnage, l’avenir de cette espèce reste incertain. De nombreux parcs africains, comme le parc rwandais des Volcans, mettent en place des politiques de conservation des gorilles basées sur l’écotourisme et le travail des rangers. Jean Bosco, ranger de 50 ans habitant au Rwanda, a accepté de nous parler plus précisément de son rôle en tant que ranger.
Pouvez-vous nous parler un peu de votre métier, et de vos missions au quotidien en tant que ranger ?
Cela fait maintenant 23 ans que je suis ranger pour le parc des Volcans, au Rwanda. Je suis passionné des animaux et de la nature sauvage, et c’est vraiment cela qui m’a poussé à suivre cette voie. Nous avons 98.5% de notre génome en commun avec ces animaux ! C’est incroyable, et cela nous incite encore plus à vouloir les protéger. Le métier de ranger nécessite beaucoup d’efforts et de patience au quotidien. C’est difficile de protéger les animaux car les braconniers sont partout, et ils utilisent des méthodes de chasses difficiles à déceler, ainsi que du matériel très dangereux. Mes missions principales au coeur du parc sont la protection des animaux et de leurs habitats naturels, particulièrement l’espèce des gorilles de montagne.
Quelles sont donc les mesures mises en place pour protéger les gorilles ?
Nous surveillons les gorilles en permanence, ce qui nous permet d’observer les interactions de groupes et leur comportement dans leur état naturel. Pendant la journée, nous comptons le nombre de nids, le nombre de groupes et nous récupérons leurs données GPS afin de savoir si tous sont bien présents au sein du parc. Nous surveillons également les naissances, les morts, les maladies ou blessures, ainsi que les différents pièges de braconniers se cachant dans toutes les zones du parc. Cela nous permet d’effectuer des rapports permettant d’alerter les vétérinaires si nous décelons une maladie, ou bien encore l’équipe anti-braconnage pour désamorcer un piège. Il existe également des voleurs spécialisés dans l’enlèvement de bébés gorilles… Heureusement, grâce à ce système de surveillance nous avons réussi à diminuer le taux de braconnage au Rwanda. Ces missions de préservations des espèces concernent bien évidemment toutes les autres espèces du parc naturel, et nous faisons en sorte de préserver également leurs habitations.
Quels sont les principaux risques de votre métier de ranger ?
Il existe plusieurs risques quand on est ranger ! Nous ne nous faisons pas beaucoup d’amis du côté des braconniers, qui souhaitent souvent nous éliminer… Un ranger a déjà périt suite à une attaque par lance d’un braconnier, et un scientifique a été grièvement blessé également. Tout ce qui touche à l’étude et la préservation des animaux sauvages n’est pas bien vu du côté des contrebandiers. Lors de patrouilles nous pouvons également nous retrouver nez à nez à des animaux plus féroces que la moyenne, comme des buffles ; ou bien tomber dans des rivières ou des ravins. Il faut savoir être attentif et à l’écoute ! Un autre risque est celui des maladies transmissibles des animaux. Et puis finalement, il y a une vraie « jalousie » de la part de la population locale. Les individus ne connaissent pas l’importance des animaux sauvages, et le fait d’interdire la chasse et le braconnage est vu comme un « vol » de leurs animaux et de leur propriété. Ils sont en colère et refusent de donner des informations essentielles envers la protection des animaux. Cela va de la non-dénonciation des braconniers qui vendent illégalement de la viande, à cacher des pièges près de leurs habitations, jusqu’à même tuer des animaux en dehors du parc au lieu de nous appeler pour voir comment les protéger…
Pourtant, l’attrait touristique du parc devrait avoir des conséquences notables sur le développement économique du pays et de ses populations ?
Oui bien sûr. On y voit l’impact dans les infrastructures du parc, dans le nombre de postes de travail à pourvoir, ainsi que dans les recherches et travaux des scientifiques qui ont des fonds et du matériel à disposition. Cela se ressent aussi au niveau des conditions de vie des populations locales. Grâce aux dépenses des touristes sur place, le gouvernement construit des écoles, des routes, ou encore des centres de santé permettant d’aider les plus vulnérables. De plus, le tourisme se développe et donc de nombreux locaux sont embauchés dans des hôtels, restaurants, ou bien en tant que guides…
Vous organisez des « montées aux gorilles » proposées par le parc pour amener les touristes voir ces animaux. Comment cela se déroule-t-il ?
Nous emmenons un groupe de huit personnes par jour qui nous suivent pendant une heure dans la forêt. Il y a des consignes à respecter lorsqu’on se retrouve en face des gorilles. Il faut garder une distance minimale de 7 mètres avec l’animal, et ne pas utiliser de flash sur les appareils photos. Si jamais le gorille charge dans notre direction, il faut à tout prix suivre les comportements du guide, ne pas parler fort et rester groupé. Bien évidemment, il ne faut pas toucher, ni donner à boire et à manger aux gorilles, ainsi que ne pas jeter ses déchets en forêt.
Un petit mot de la fin à faire parvenir à nos étudiants ?
Les ONGs de conservation et le Ministère de l’Environnement du Rwanda préparent des formations sur la conservation de l’environnement, sur les comportements des animaux, le « monitoring » (surveillance) d’animaux en forêt, ou encore des formations de patrouilles, de reconnaissance des maladies, et de premier secours. La formation de ranger se passe en deux parties : d’abord une partie pratique dans laquelle on participe à la formation paramilitaire sur comment se protéger et protéger les animaux, sur les premiers secours, la description du matériel de terrain, avec des exercices physiques en visitant le terrain.
Ensuite une partie théorie : utilisation du protocole pour étudier les comportements des animaux, méthodes de braconnage, type de patrouilles pour lutter contre le braconnage,comment collecter les données, localisation des animaux, identification des animaux par méthodologie spécifique comme leur traces, empreintes nasales chez les gorilles, comment découvrir les traces des braconniers…
Bien que les rangers participent grandement à la préservation des gorilles, l’écotourisme reste un moteur important pour financer cette politique. Nadège Boulanger a eut l’opportunité de visiter le parc des Volcans en 2017, elle a accepté de nous partager son expérience auprès des grands primates.
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’aller voir les gorilles ?
Les gorilles représentent une espèce merveilleuse très proche de nous, notamment de par leurs mimiques humaines. Après tout, ce sont nos cousins !
Comment se passe une « montée aux gorilles » ?
Le rendez-vous est donné à 7h au point de départ pour briefing sur comment se comporter face aux gorilles. Il ne faut pas parler fort ou faire de mouvements brusques, ne pas s’approcher trop près, laisser le chemin libre si un gorille se déplace, ne pas s’enfuir en cas de charge et porter un masque chirurgical afin d’éviter toute contamination virale des hommes vers les gorilles et inversement. Le contact avec les gorilles dure exactement une heure, et chaque famille de gorille n’aura qu’une visite par jour.
Les photographes chargés d’un lourd matériel peuvent engager des porteurs pour les aider. Ces derniers, contrairement aux pisteurs et aux touristes, ne pourront pas s’approcher des animaux : on laisse donc nos sacs et nos bâtons de marche avec eux, et on emporte que son appareil photo pour le dernier quart d’heure de marche.
Concernant la durée de la « montée », tout dépend de la position du groupe de gorille que nous allons rencontrer et de la météo. La montée peut prendre d’une à six heures. Lors de la saison des pluies, le sol est très glissant et les sentiers qui grimpent sont souvent difficiles dans une végétation luxuriante. Glissades assurées quand il pleut, mieux vaut prévoir de bonnes chaussures de randonnée et porter des pantalons longs dont le bas est recouvert par de bonnes chaussettes. Cela évite la boue sur le bas du pantalon, et protège contre les orties locales et les fourmis qui n’hésitent pas à mordre une fois grimpées sous les vêtements.
Quel est votre ressenti de cette expérience ?
La récompense au bout de la montée est incroyable. Rencontrer des gorilles de tout âge est une expérience unique et inoubliable, le tout sous l’oeil attentif des pisteurs et… du mâle dominant. Nous avons été gâté lors la dernière montée : un tout jeune gorille s’amusait à tourner suspendu dans tous les sens à une liane, une femelle a cessé de nous cacher son bébé de deux mois, et nous avons assisté à des scènes très émouvantes d’interactions entre maman et bébé.
Suite à cette visite, est-ce que vous vous sentez engagée pour la cause des gorilles ?
Tout à fait, ainsi qu’envers toutes autres espèces menacées de disparition, que ce soit à cause du braconnage ou bien du réchauffement climatique. Les gardes du parc ont pu recueillir cinq jeunes gorilles de moins de deux ans, soit orphelins, soit blessés par suite de braconnage. Ils sont parqués et soignés dans un enclos en attendant de pouvoir les rendre à la vie sauvage.
Bien que nombre de gorilles des montagnes en Afrique ne cesse d’augmenter, l’espèce est encore loin d’être tirée d’affaire. D’autant plus que de nouvelles tensions politiques touchent des pays comme le Congo, ayant causé la fermeture du parc des Virungas pendant plus d’un an.
Alors, si vous aussi vous vous sentez investi(e)s dans la cause des gorilles et que vos valeurs écologiques vous tiennent à coeur, il existe de nombreux moyens de participer à leur préservation. Que ce soit en devenant ranger, en participant à ces « montées aux gorilles », en faisant un don, ou en en parlant autour de vous, vous avez le pouvoir d’agir.
Propos recueillis par Jeanne BOULANGER et Oriane PIEDEVACHE–OPSOMER
Carte : Karell Travels
Crédit photo : Nadège BOULANGER