Svalbard : Un projet à toute épreuve
Le bâtiment futuriste émerge de la glace comme une ruine, au milieu de l’archipel Norvégien de Svalbard dont il tient le nom. Cet édifice est tout sauf une ruine, et renferme en lui de quoi assurer la survie alimentaire de l’humanité : une banque génétique de graines issues des cultures vivrières du monde entier. Riz, orge, manioc, orchidée : des millions de graines sont stockées à -18°C dans les tréfonds du cercle polaire, prêtes à l’usage pour permettre à une population — ou à l’humanité — de se nourrir ou de relancer son agriculture suite à une catastrophe climatique, nucléaire ou à une guerre. L’ idée ne date pas d’hier : en 1984, la banque génétique nordique (aujourd’hui NordGen), avait commencé la constitution d’une réserve similaire dans une mine abandonnée.
C’est cependant le petit archipel norvégien qui a été choisi pour accueillir la deuxième version de ce projet. Situé à plus de 1000 kilomètres du Pôle Nord, enfoui à 120 mètres sous la surface, capable de recevoir 1500m3 d’échantillons, le projet est aussi titanesque que nécessaire. En 2006, il est confié à l’architecte Peter W. Søderman, qui l’achève en 2008. Le bâtiment est conçu pour résister aux pires scénarios : missiles, explosion nucléaire, crash d’avion, inondation. Mais le Svalbard n’est pas invincible. Située en Arctique, la réserve est aux premières loges du réchauffement climatique et en a fait les frais en 2016. Par exemple, la fonte du permafrost a engendré une inondation d’une partie de la réserve, heureusement sans endommager les stocks de semences.
La perte d’une partie de ce projet serait dramatique à de nombreux niveaux, car même si d’autres banques génétiques existent à travers le monde, celle du Svalbard est la plus conséquente et celle renfermant le plus de biodiversité. Cela a permis de reconstituer les stocks de la banque génétique d’Alep, en Syrie, détruite pendant le conflit en 2015. Les graines envoyées au Svalbard par la Syrie ont été récupérées par les banques génétiques des pays voisins, afin de reconstituer le stock de la région — qui contenait notamment des espèces de graines et plantes résistantes à la sécheresse.
La gestion du Svalbard n’est pas l’exclusivité de la Norvège, et c’est aussi ce qui fait la force du projet. La NordGen, sous la direction du Conseil des ministres nordiques, une institution trans-étatique, coopère avec le Global Crop Diversity Trust, lui-même dépendant de la branche de l’ONU en charge de l’alimentation et de l’agriculture. Non seulement la gestion est globale, mais les pays déposant des échantillons dans cette banque génétique ne les lui cèdent pas : ils en restent propriétaires et peuvent les récupérer dès qu’ils en ont besoin.
Préserver la mémoire : Arctic World Archive
La numérisation de nos données n’empêche pas leur disparition, alors quoi de plus efficace que le “lieu le plus sûr du monde” pour les préserver ? C’est de ce constat qu’est née en 2017 la nouvelle branche du Svalbard, l’Arctic World Archive. Gérée par la société Piql, spécialisée dans la numérisation et la préservation des données, cette réserve entend préserver les données culturelles, scientifiques ou historiques des pays volontaires – moyennant une certaine somme, le projet étant dirigé par une société privée. Le Vatican, l’Agence Spatiale Européenne ou encore les Archives Nationales du Mexique font partie des premiers participants à ce projet inédit.
Préserver : c’est le maître mot de ces projets spectaculaires qui entendent pouvoir sortir une population de la crise agricole ou préserver pour des siècles la mémoire historique d’une partie de l’humanité. La banque génétique a déjà fait ses preuves et les archives mondiales feront bientôt de même. Svalbard consacre ainsi un espoir : celui de survivre au temps et au chaos.
Chloé TOUCHARD
Couverture : crédits photo : Courrier International (lien dans les sources)
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