Les systèmes bio-inspirés font l’objet de recherches et d’applications de plus en plus variées, que ce soit dans l’assistance à personne en danger ou dans l’industrie agro-alimentaire. Ce domaine de recherche s’inspire directement de systèmes biologiques afin d’améliorer ou d’inventer de nouveaux dispositifs techniques. L’engouement a été si intense ces dernières années qu’il reflète naturellement l’aspiration et la nécessité de sociétés plus soutenables.
Pourtant, s’inspirer de la nature n’est pas chose aisée. En aucun cas la copier intégralement ne garantit la prochaine révolution scientifique ou innovation commerciale. Il faut être conscient que tout ne se transpose pas d’un système biologique à un système technique.
Diverses contraintes sont à identifier puis à surmonter : quels matériaux utiliser pour reproduire une aile plumée allant de leur masse, leur densité, leur aérodynamisme, leur résistance — à l’air, au Soleil, au vent, à l’humidité — jusqu’à leur courbure pendant les battements ?
Parfois, répliquer le comportement d’un animal ou l’une de ses particularités dans l’un de nos outils ne fonctionne tout simplement pas. En cause, un problème initial mal identifié ou une solution choisie plus pertinente dans un autre domaine.
Les avions Clément Ader en constituent un bon exemple. Cet ingénieur français demeure dans l’histoire pour avoir réussi l’un des premiers décollages motorisés au monde. Selon ses écrits personnels et les témoignages de ses équipes, il réalise cet exploit en 1890. La spécificité de ces avions provient de leurs ailes, directement inspirées de celles des roussettes d’Inde (pteropus giganteus), des chauves-souris originaires du sud de l’Asie et dont l’envergure spectaculaire peut aisément dépasser un mètre. Cependant, rien ne permet d’affirmer que ces machines étaient suffisamment stables et contrôlables pour se mouvoir dans l’air. Les avions d’Ader possédaient une voilure à forte courbure, caractérisée par leur instabilité. Seulement, Ader n’est jamais parvenu à la corriger. Il savait qu’un avion à ailes de chauve-souris ne pouvait lui garantir des vols maîtrisés à long terme. Pendant la conception de ses différents prototypes, il entretenait l’idée qu’une aile d’oiseau, plus rigide et à voilure fixe, s’adapterait davantage à son invention.
Cet exemple révèle que la nature n’apporte pas toutes les solutions clé en mains. Pour générer de nouvelles idées applicables à nos sociétés, ingénieurs et biologistes doivent travailler de concert et se constituer un savoir commun.
Jouer avec les connaissances.
Comme pour de nombreuses innovations, la recherche est longue et jonchée d’obstacles, aussi bien techniques que financiers, ou encore méthodologiques. Inlassablement, la question de la « créativité » se pose. Savoir comment la stimuler devient un enjeu crucial. De nombreuses recherches se sont alors penchées sur cette question et divers modèles en ont émergé. Parmi ces derniers se trouve la théorie Concept-Knowledge (nommée C-K par la suite). Sans rentrer dans trop de détails techniques, en voici une brève présentation.
Concept se réfère à l’espace des idées et propositions qui ne sont ni fausses ni vraies compte tenu de l’état des connaissances. Knowledge fait référence à l’espace des connaissances acquises, que l’on retrouve notamment dans la littérature scientifique.
Concept est assimilable à un arbre gigantesque qui ferait pousser branches et bourgeons de façon à obtenir une silhouette élégante mais aussi une certaine résistance au vent, ou encore des feuilles orientées pour bien capter les rayons du soleil. Knowledge se comporterait telle une goutte d’huile dans une flaque d’eau : plus on en apprend sur notre monde et plus la goutte s’étend.
L’idée derrière ce modèle est de modifier, ou plutôt de partitionner, les différentes notions présentes dans Concept en modifiant leurs propriétés respectives et en expérimentant différentes combinaisons afin de voir si cela mène à des applications pratiques encore inexistantes dans l’espace Knowledge.
Utiliser C-K revient à différencier trois étapes de travail. Premièrement, il est nécessaire d’identifier le problème à résoudre quand nous faisons appel aux systèmes organiques. Deuxièmement, on isole une propriété biologique pertinente pour la résolution du problème. Enfin, une profonde réflexion s’impose pour intégrer cette propriété à un outil.
Appliquons cela à un exemple intéressant : l’adhésion à sec. Comment « coller » un objet ou une personne sur une surface ? Après une petite expédition naturaliste, nous trouvons notre source d’inspiration : un gecko sauvage apparaît ! Ce remarquable animal est un grimpeur exceptionnel. Nous nous interrogeons enfin sur l’origine de cette propriété adhésive et sur la façon dont nous l’appliquons à nos activités.
Si jamais aucun modèle sophistiqué ou algorithme puissant ne vous tombe entre les doigts, vous pouvez toujours aller prendre l’air et lever le nez vers les nids d’oiseaux, les merles chanteurs ou les défilés de nuages ; car, même en période de pandémie, la nature, elle, ne s’arrête jamais de nous surprendre.
Adrien ALBERTINI
Couverture : Dessins originaux de l’avion Eole d’Ader Clément
Sources :
- couverture : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:EolePatent.jpg
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