Existence muette : les mutismes et traumatismes coupant la parole

« F1 – Moi je vais en faire autant. On va tous en faire autant. Nous allons jouer à ça. Silence. Chacun se taira, plein de dignité…

F2 – Mais…

F3 – Chut…

Silence.»

  • extrait de la pièce Le Silence, N. Sarraute, 1967

Dans notre société où tout semble dit, la parole se conçoit comme la forme de communication par excellence. On s’imagine que ce n’est qu’avec des mots que l’on peut véritablement échanger avec l’Autre, raconter l’Autre, se raconter. Mais c’est aussi négliger d’autres moyens d’expression, plus complexes et difficiles à définir, qui s’immiscent discrètement dans notre quotidien : une image, un instrument… Et plus étrange encore, un silence. Cette absence de langage est sujet à interprétations; il est assimilé à une gêne, à une peur de dire, à une émotion si forte qu’elle n’est pas exprimable. Si elle persiste, on l’associe à du mutisme. 

La psychanalyse : écouter nos douleurs silencieuses

L’ouvrage Le silence en psychanalyse est un corpus de textes, dans lequel les médecins exposent différents cas d’individus, ayant traversé cette phase – souvent difficile – de mutisme. Les causes de ce silence sont multiples.

Enfance sans mots

Pour un jeune enfant, le mutisme peut être dû à la peur d’être séparé d’un parent. Le cas d’un jeune garçon ayant perdu la parole depuis plusieurs mois, étudié par Sophie Morgenstern, le confirme. D’une dizaine d’années, l’enfant est très proche de sa mère, mais leurs échanges quotidiens sont souvent interrompus par la présence imposante du père. Ce dernier développe alors une sorte de traumatisme continu face à cette figure paternelle, et fait le choix de ne plus adresser la parole à qui que ce soit. Par ailleurs, puisqu’il y a blocage face à toute parole, le problème va se résoudre par une autre forme de communication : le dessin. A l’aide de ce cas, la psychanalyste conclut sur le fait que le changement d’attitude face au mutisme peut se corriger plus facilement dans l’enfance. Le patient n’a pas à « briser une vie construite sur de fausses bases et de la reconstruire ensuite ». Alors que chez l’adulte, c’est un travail sur soi loin d’être facile…

Le théâtre, ou le mutisme esthétisé

La pièce Incendies, créée par Wajdi Mouawad, relate l’histoire d’une tragédie familiale. Deux jumeaux apprennent la mort de leur mère, mutique depuis des années, et sont convoqués par le notaire pour plusieurs raisons : d’une part, pour toucher les droits de succession, et d’autre part, pour retrouver leur père – inconnu jusqu’à présent. Cette recherche du père aurait pour but de percer un secret mystérieux que la mère ne leur a jamais révélé, ayant gardé le silence depuis des années. Par la quête de ce lourd secret, les deux jeunes adultes vont comprendre que ce silence maternel renferme en lui un ensemble de traumatismes, dans lesquels violence et beauté du monde s’entremêlent… La pièce est jouée pour la première fois en 2003, au théâtre national de la Colline. Encore aujourd’hui, le lieu propose une sélection riche et émouvante de pièces contemporaines, rythmées, qui questionnent de nombreux enjeux sur nos façons d’appréhender l’existence, parfois en silence. A ne pas oublier que « Parler. C’est déjà vivre », comme le rappelle Mouawad. 

Noémie Wuchsa

Sources :

  • Le Silence, Nathalie Sarraute – édition Rykner, folio théâtre
  • Le silence en psychanalyse, sous la direction de J-D De Nasio, rubrique : « Un cas de mutisme psychogène » – édition Rivages Psychanalyse
  • Incendies, Wajdi Mouawad – édition Babel

Image : ©Pixabay

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