Les couleurs genrées 

D’après le Centre Nationale de la Recherche Scientifique, « la couleur est, par elle-même, un langage permettant de communiquer. Ce langage implique nombre de conventions d’ordre psychologique, symbolique ou religieux. » En effet, de nos jours, nous sommes les témoins d’une évolution des mœurs sur les stéréotypes pré-établis depuis de nombreux siècles. Du bleu pour les garçons et du rose pour les filles. Comment cette répartition si catégorique a-t-elle pu autant s’affirmer au cœur de notre société, au point de nous astreindre à habiller les filles en rose, et les garçons en bleu ? Pour répondre à cette question, nous résumerons brièvement l’évolution de ces deux couleurs dans les stéréotypes genrés, pour ensuite analyser leurs répercussions sur notre société contemporaine. 

Une évolution genrée qui connaît de nombreux bouleversements 

Au Moyen-âge, le bleu, couleur de la Vierge, est associé à la gente féminine. Le rose, quant à lui, est considéré comme une sous-couleur du rouge, et est par conséquent porté par les hommes, symbolisant le pouvoir, l’autorité et la masculinité. Néanmoins, l’établissement de réformes protestantes au XVIème siècle va peu à peu dévaloriser la couleur rouge portée par l’homme, étant la couleur propre aux papes. Le bleu est alors de mise, tandis que le rouge symbolise de plus en plus la vie et l’amour, attirant l’attention de la gente féminine. De sucroît, au XVIIIème siècle, la manufacture de porcelaine de Sèvres nomme une nouvelle teinte de couleur, “le rose Pompadour”, en honneur de  la marquise favorite du roi. D’abord primée par les hommes, cette couleur est néanmoins de plus en plus portée par les femmes, surtout lorsque l’apparence terne et sombre des révolutionnaires devient le reflet de la volonté d’anéantir l’Ancien Régime et ses fastes enjolivés aux multiples et éclatantes couleurs. Enfin, à partir du XIXème siècle, le bleu devient réservé aux garçons et le rose aux filles. Ce code, d’abord adopté par les familles bourgeoises, se développe notamment entre l’entre-deux-guerres par le biais de la naissance du marketing, allant de pair avec les rôles traditionnels de l’homme et de la femme au sein du foyer. Ainsi, dans le genre de l’enfance, la figure du bricoleur casanier est  remplacée par la figure du super-héros, tandis que la figure de la ménagère devient celle  de la princesse. Cette binarité de couleur s’imposera petit à petit dans les secteurs du jeu, des vêtements, de la décoration enfantine…


Ainsi, de nos jours, notre rapport aux stéréotypes est paradoxal. Si nous les condamnons ouvertement, nous avons néanmoins tendance à les intérioriser et à les perpétuer. Par exemple, la mode des gender reveals, c’est-à-dire des fêtes prénatales où les futurs parents révèlent à leurs proches le sexe de leur bébé, permet aux magasins spécialisés de fournir aux parents idées et accessoires en tous genres mais aussi typiquement genrées … comme les ballons gonflables, qui déversent des papiers roses ou bleus en fonction du sexe révélé. 

Une remise en question esquissée dans les années 1970 et qui réapparaît de nos jours 

Les mouvements féministes des années 1970, lors desquels les jouets genrés connurent un léger déclin, ont été un point d’ancrage pour notre génération contemporaine. Néanmoins, les codes couleurs enferment depuis la fin du XIXème siècle nombre de familles dans un déterminisme genré. Votre fille doit être douce et sensible ? Le rose est la couleur qu’il lui faut. Vous désirez que votre garçon incarne le courage et la force ? Le bleu en est le parfait symbole. Cette nette séparation binaire répond en vérité à des logiques commerciales. En effet, dans le secteur de la vente de jouets pour enfants, en imposant le code couleur bleu et rose, les industriels du secteur s’assurent d’augmenter les ventes. Des objets comme le vélo ou la trottinette, qui pouvaient passer du frère à la sœur, sont désormais genrés et incitent les familles à en prendre deux : le bleu pour le garçon, le rose pour la fille. Plus qu’une simple convention sociale, les enjeux commerciaux ont contribué à faire de ce stéréotype un véritable héritage culturel que les familles se transmettent de génération en génération. Néanmoins, depuis les années 2010, la signature d’une charte destinée à promouvoir la mixité des jouets en apposant un “label pour tous”, souligne une certaine volonté de s’émanciper de ces stéréotypes genrés. De plus, la revendication d’une liberté de genre qui ne cesse de s’affirmer dans une société où les strates socio-culturelles sont de plus en plus dénoncées et mises à mal, permet une recatégorisation plus neutre et subjective des couleurs.

Cette affirmation qui enferme les couleurs dans des registres genrés a fait apparaître peu à peu la couleur bleue comme une couleur consensuelle. Désigné par certains comme neutre, le bleu est valorisé dans notre société contemporaine. Il s’inscrit dans nos esprits de plus en plus non pas comme la représentation de la gente masculine, mais comme le symbole du rêve, de l’idéal, ou plus concrètement des grandes institutions internationales, comme le bleu du drapeau du Conseil de l’ONU, illustrant une couleur sans frontière ni de genre, ni d’identité culturelle. 

Caroline Rousseau

Sources :

Image : Montage réalisé à partir de Canva

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