Le 18 novembre 2021, Débattre en Sorbonne a accueilli Anne Soupa pour une conférence-débat sobrement intitulée « Religion et féminisme ». Commençons néanmoins par quelques rappels sur le statut et les actions de Débattre en Sorbonne. Cette association universitaire entend promouvoir « la langue française et la culture francophone auprès des jeunes à travers la pratique du débat et de joutes oratoires ». Elle crée des événements sur diverses thématiques définies par leurs invités tels que Charlie Hebdo, Laurent Fabius ou Owen Simonin. Alma Mater a pu se rendre à la conférence organisée en collaboration avec Anne Soupa et vous en a ramené les temps forts.
L’invitée, désormais essayiste et journaliste, a cependant commencé des études de droit pour finalement terminer par un doctorat en théologie. Catholique de confession, elle appartient à un courant féministe chrétien. En effet, Anne Soupa signe le paroxysme de son engagement féministe en tant que cofondatrice du Comité de la jupe, une association qui lutte contre les discriminations faites à l’encontre des femmes dans l’Église catholique. Elle y promeut le mouvement féministe au sein de cette branche du christianisme, ce qui explique davantage le retentissement de son nom dans la sphère religieuse lorsqu’elle a émis une candidature pour l’archevêché de Lyon en 2020 ; une place que l’Église catholique juge comme inaccessible aux femmes.
« Religion et féminisme », conférence à laquelle nous avons assisté, portait sur une convergence entre les croyances catholiques et le mouvement féministe à travers plusieurs questions posées à l’intervenante, la question phare de l’intervention étant : « Selon vous, catholicisme et féminisme, sont-ils compatibles ? ». Cette dernière a eu le droit à un ferme « Oui » de la part de Mme Soupa. Elle évoque plusieurs points d’argumentation basés sur la Bible et sur le Christ afin d’expliquer pourquoi, selon elle, catholicisme et féminisme sont compatibles. En effet, les écritures saintes ainsi que la parole christique, selon Anne Soupa, peuvent être abordées sous le prisme de lectures avec un regard plus neuf. L’exégèse biblique – c’est-à-dire une analyse rigoureusement critique du texte – pourrait ainsi permettre à la communauté chrétienne d’aborder le lien entre le féminin et le sacré sous un autre angle.
Le premier exemple traité par la conférencière est celui de Jésus, modèle à suivre dans le christianisme, qu’Anne Soupa présente comme l’un des premiers féministes à travers les valeurs qu’il incarnait. Ses actions ne montraient aucune acception de genre quel qu’elle soit, ce qui faisait que le Christ incluait nécessairement dans la société celles et ceux qui en étaient exclus à une époque où le rôle civique de la femme était fortement restreint. Selon Anne Soupa, les dérives d’interprétations et de traductions des saintes écritures au cours du temps proviennent du fait que les traités scolastiques étaient exclusivement menées par des hommes : ils ne pouvaient donc bénéficier de nuances critiques sur la question du féminin dans l’Église.
Pour illustrer ses propos, Anne Soupa s’appuie sur la péricope (récit constituant une unité littéraire) dans l’Evangile selon Saint Jean. Ce dernier y présente Jésus Christ demandant à une samaritaine qui se rend à un puits si elle a plusieurs maris. La samaritaine est alors présentée par la péricope comme l’allégorie de la femme adultère. Toutefois, Anne Soupa nous met en garde sur les délicats enjeux joués par la traduction dans la réception des textes sacrés. Même si les évangiles ont été rédigés en grec, un mot fait défaut dans la traduction de notre extrait : le mot hébreu Baal qui signifie à la fois « mari », mais aussi « dieu ». Cette réduction de la samaritaine à la femme adultère provient donc de cette confusion sémantique multiple et de l’interprétation faite par des commentateurs uniquement masculins au fil des siècles. Des exégèses modernes émanant d’analystes féminines montrent ainsi qu’il s’agissait ici de dire « dieu » au lieu de « mari de chaire ». Ainsi, la samaritaine n’est dès lors plus à considérer comme l’allégorie de la femme adultère, mais comme l’allégorie de la polythéiste païenne, rapporte Anne Soupa.
Le deuxième exemple, tiré cette fois de la Genèse, est celui de la création de l’humain par Dieu. La conférencière rappelle que Adam en hébreu (dont le m se prononce) signifie « le terreux » ou « être de terre ». Il fut certes traduit par « homme» mais son nom ne signifiait pas pour autant « homme » dans son acception singulière. En effet, l’étymon d’Adam renvoie davantage au sens « d’être humain ». Cette créature de Dieu était donc censée représenter l’humanité si l’on s’en tient au sens premier du terme que nous rappelle Anne Soupa. Par la suite, les textes n’évoquèrent cependant plus que l’homme et la femme dans leur sens biologique. D’après Anne Soupa, il y a également eu une mauvaise interprétation du mot hébreu désignant la côte de l’Adam à partir de laquelle fut générés le mâle et la femelle. Bien que sa définition originelle fut éthérée à travers le temps, Anne Soupa rappelle que cette côte de l’Adam ne réfère pas à un os, mais bien à un côté entier. Il s’agirait plutôt de séparer l’Adam en deux pour créer deux êtres pouvant porter l’arche de l’Alliance – un coffret représentant la présence de Dieu sur Terre. Nous pouvons donc voir à travers une rigoureuse révision éxégétique de cet épisode une parfaite égalité se dessiner entre l’homme et la femme pour porter un objet hautement sacré dès le commencement.
En conclusion, selon Anne Soupa, le féminisme semble être la porte d’entrée à une meilleure compréhension des passages de ces livres anciens dont le sens premier fut altéré par les traductions et interprétations à prédominance masculine au fil du temps.
?Rany Bolis
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