L’illustration de la pureté rurale et existentielle
Vous vous attendiez sans doute à un article sur les récentes nominations aux Oscars. Chez Alma Mater, nous déjouons l’évidence pour vous offrir un contenu inattendu. Jean de Florette a été réalisé par Claude Berri et est sorti en 1986. Tourné dans les collines des Bouches-du-Rhône, le long-métrage nous fait renouer avec la ruralité et la sobriété existentielle. Il sera adapté en roman par l’auteur français Marcel Pagnol qui, par sa plume, fera de cette œuvre une production complète et originale.
C’est dans un petit village de Haute-Provence que débute le film. Dans les années 1920, Ugolin, interprété par Daniel Auteuil, revient de son service militaire. Ayant pour objectif de faire fortune, il se tourne vers la culture d’œillets. Naturellement, pour mettre ce projet à exécution, de la bonne terre ainsi que de l’eau sont nécessaires. Mais le terrain des Soubeyrand semble peu propice à ce type de culture, a contrario du terrain voisin.
La source
Bien que nous parlions ici d’une source d’eau, nous pourrions élargir ce terme. Plus encore qu’un don de la nature, cette source alimente tout le versant en eau, et passe notamment par le terrain voisin des Soubeyrand, terrain qu’ils tentent d’acquérir, en vain. Ce bout de terre, avec en son centre une maison simple et austère, est vendu à des citadins. C’est à ce moment qu’entre en scène Gérard Depardieu dans la peau de Jean de Florette. Citadin dépourvu des codes ruraux, il tente de se faire une place au village en jouant sur sa sociabilité et sa bonne volonté. Par jalousie, Ugolin et César Soubeyrand (Yves Montand), vont boucher la source afin que le terrain nouvellement acquis ne soit pas approvisionné. Par « source », nous entendrons donc ici le rôle qu’elle joue et qui lui est propre, tout en occupant une place clé dans le déroulement de l’histoire.
Un voyage initiatique
Un récit initiatique est un type de récit permettant de suivre l’évolution d’un personnage dans sa compréhension du monde qui l’entoure, ou de lui-même. L’évolution peut être aussi bien négative que positive. En l’occurrence, Claude Berri ne nous propose pas un simple récit, mais un véritable voyage initiatique. L’objet de cette quête est dès lors la fameuse source que les Soubeyrand envient au plus haut point. Mais, très tôt, nous nous apercevons que l’imagination et l’ingéniosité de Jean de Florette, surnommé moqueusement le « bossu », lui permet de prendre des initiatives. Parmi celles-ci, se trouve un élevage de lapins gambadant en liberté. Usant de tuyaux de canalisation pour relier les terriers artificiels, et misant sur la fertilité des lapins pour les vendre au marché, tout semble réuni pour que le néo-rural fasse fortune et vive de son commerce.
La liberté comme source de bonheur
Ce qui compte ici n’est pas tant le récit en lui-même, mais les valeurs qu’il porte. De ces valeurs, la liberté en est le centre. Jean de Florette ayant déménagé afin d’être au grand air, on se doute que le matérialisme est absent de son mode de vie. Le père de famille a pour souhait principal de vivre de son travail, non pas au sens pécunier du terme, mais davantage dans une dimension émancipatrice. Le travail peut-il déboucher sur la liberté ? John Locke est de cet avis, puisqu’un homme travaillant une terre la possède par souci de légitimité et d’effort. On retiendra également le cas du penseur Henry Thoreau, ayant achevé sa vie dans une cabane construite de ses mains au bord d’un étang. Nous opposons dès lors travail libre et travail aliéné, c’est-à-dire qui dépossède l’Homme de son existence et de sa volonté. D’un point de vue global, ces deux conceptions s’affrontent dans un cadre spatio-temporel où le profit se heurte à la liberté.
Entre idéal et réalité
Toutefois, la liberté est-elle souhaitable à tous égards ? Encore une fois, la source est mise sur le devant de la scène. Nécessaire pour que son élevage subsiste et que son commerce se pérennise, l’eau est le point névralgique de ce récit. Lorsqu’elle vient à manquer, le personnage est démuni face à sa propre liberté. Contraint de chercher l’eau bien loin de chez lui, Jean de Florette s’épuise à la tâche. Effectuant kilomètres sur kilomètres chaque jour, le travail devient éreintant. Preuve que la liberté se paie cher, le protagoniste sombre dans la folie à mesure que le récit progresse. D’un idéal de l’existence rurale et pure, nous passons à la dure réalité. Sans eau, aucune vie n’est possible. Le pauvre bossu porte symboliquement le poids de l’effort sur ses épaules. Il finit par mourir d’une chute, à la recherche d’une source qu’il ne trouvera jamais, et qui pourtant l’a toujours suivi.
Finalement, Jean de Florette sonne comme une ode à nos oreilles. Cadré dans un décor naturel débridé, l’immensité de la nature nous parvient comme si nous ne l’avions jamais réellement appréhendée. Parsemé de références philosophiques, ce film est doté d’une spiritualité indéniable, et nous pousse à nous questionner sur notre propre existence. Un retour aux sources est-il donc inenvisageable ?
Doryann Lemoine
Sources :
- https://www.lexpress.fr/culture/livre/le-paradis-a-re-conquerir_810307.html
- https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=30286.html
- H. D. Thoreau, La Désobéissance civile, 1849, Librio.
- C. Berri, Jean de Florette, 1986.
Couverture : © Wikimedia Commons