Le transhumanisme comme vecteur d’un nouveau monde
Blade Runner s’inscrit dans le prisme des longs-métrages étranges que l’on ne comprend qu’avec difficulté. Inspiré du roman de Philip K. Dick, Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?, la saga aux deux opus suscite de nombreuses interrogations chez le spectateur. « Qui a compris Blade Runner ? » ou encore « Pourquoi Blade Runner est un chef-d’œuvre ? » sont des questions que l’on retrouve aisément sur internet en mentionnant simplement l’intitulé du film. L’évidence n’est donc ici pas à-propos.
Les années 80 et le fantasme de l’être humain modifié
Dans les années 1980, la science-fiction est employée à de multiples égards, notamment pour assouvir les intuitions et les prophéties des réalisateurs. Ridley Scott s’érige en pionnier en la matière. Réalisateur connu de prime abord pour la saga Alien, le premier volet de Blade Runner vient ainsi combler son fantasme anti-utopiste. A l’aube du XXIe siècle, le pessimisme technologique ouvre les portes à de nombreuses théories, qui font cependant partie d’un certain continuum temporel. Auparavant, la fin des années 1920 et le début des années 1930 avaient déjà exprimé cette théorie de l’homme génétiquement modifié avec des films comme Metropolis (1927) ou bien Frankenstein (1931), qui superposent le corps humain et le progrès scientifique poussé à son paroxysme.
Blade Runner sort en 1982. Il se situe entre une vision Kubrick et orwellienne, dépeint une ville sans verdure, une atmosphère macabre et obscurantiste. Ridley Scott dépeint une dimension tragique du réel, un nouveau monde où un ancien policier (Harrison Ford) traque un groupe de « réplicants », des androïdes créés à l’image de l’Homme. Le style visuel « néo-noir » du film s’apparente à ce que le poète Charles Baudelaire nommait le spleen. La critique est en premier lieu hostile à ce long-métrage, en particulier aux États-Unis. Cependant, il est accueilli positivement dans le reste du monde, ce qui lui vaut d’être malgré tout reconnu, et ce véritablement à partir de 1992 où le film est remanié.
Un questionnement humaniste et social
A l’instar d’une sorte de « metavers », Blade Runner montre Los Angeles tel un bouillon de cultures, faisant penser à Chinatown de Polanski. Une association presque dissociative et incompatible de cultures qui influe sur l’aspect infernal de la saga. Un long oxymore de deux fois deux heures, même si le second volet s’avère beaucoup plus long que le premier, avec une durée de 2h43 contre 1h57. Cela s’explique par le fait que le second opus n’ait pas été réalisé par Ridley Scott mais par Denis Villeneuve, avec un écart de 35 ans. Les effets spéciaux sont aussi plus développés, et ont été mis en place par l’un des plus grands studios à cet effet (BUF) dirigé par François Buffin.
C’est en vertu de tous ces aspects de la saga qu’une question sociale et humaniste se dégage. L’identité en elle-même est sciemment floutée par le réalisateur, d’une part concernant Rick Deckard (Harrison Ford), mais également les relicants, qui sont des hommes améliorés. Qu’est-ce que l’homme ? A partir de quel moment un homme n’en est-il plus un ? La robotique peut-elle s’avérer néfaste pour l’humanité ? Le transhumanisme est-il voué à déchoir l’homme de sa propre naturalité ? Toutes ces interrogations se posent lorsque nous contemplons Blade Runner d’un point de vue philosophique. Est alors éclairée la volonté du réalisateur de se confronter aux problématiques scientifiques et morales du XXIe siècle, en sachant que celles-ci ont déjà été intuitionnées par Ridley Scott 35 ans auparavant.
Mais dans une dimension démiurgique, l’Homme décomposé dans Blade Runner crée l’Homme lui-même, le façonne à son image, tel qu’Aldous Huxley l’illustre dans son œuvre Le meilleur des mondes par une dictature médicamenteuse. L’Homme se prend pour Dieu, et entretient un rapport quasiment artistique entre lui et ce qu’il crée sous forme mi-humaine, mi-robotique. Ces esclaves bioniques semblent pourtant doués de conscience et parviennent, par celle-ci, à se rebeller. Le réplicant s’émancipe de la dimension « humaine » de ses capacités qui lui sont originellement constitutives.
Avant tout, la tendance « Blade Runner », intrinsèque au film, consiste en la prophétie macabre que l’on place sous l’égide du « cyberpunk ». Dans la mouvance du « cyberpunk », on observe un mélange cinématographique entre bas-fond et progrès technologique. Là encore, le film est pionnier en la matière.
L’ambivalence de Deckard
Selon les réalisateurs des deux opus, Deckard est la matérialisation d’une ambivalence nécessaire à l’Homme. L’humain se doit de combler ses défauts par la technique, ses faiblesses dont fait partie, entre autres, l’empathie voire même l’amour dans ses perspectives les plus toxiques. Deckard représente donc le modèle de l’humain modéré, contrôlé par le transhumanisme et donc bridé émotionnellement. L’Homme entretient par conséquent un rapport esclavagiste avec la technique qu’il veut non seulement contrôler, mais également façonner à son image. Peut-on alors imaginer que l’Homme et la technique soient bientôt indissociables l’un de l’autre ?
Doryann Lemoine
Sources :
https://www.cineman.ch/fr/article/blade-runner-le-cataclysme-%C3%A0-laube-du-21%C3%A8me-si%C3%A8cle
http://www.cinepsis.fr/blade-runner-entre-science-fiction-et-transhumanisme/
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