Alzheimer révélée sur grand écran
En 2020 naissait le drame réalisé par Florian Zeller, The Father. Victime de la maladie d’Alzheimer, Anthony, homme de 81 ans, vit dans son appartement accompagné de sa fille, Anne. Inconscient de la dégradation de son état psychique, un fossé se creuse au fil du récit entre la réalité du souvenir et les hallucinations causées par un mal invisible. L’appartement d’Anthony devient alors un huis-clos où la réalité s’évapore en même temps que la maladie progresse.
Une subjectivité déroutante
Tout au long du film, le spectateur est plongé dans le regard du protagoniste, Anthony. De sorte qu’on observe la maladie par le regard de son porteur. Ce point de vue s’avère selon Renaud Baronian du Parisien la marque d’un « récit bouleversant ». Si ce film est bouleversant, c’est notamment parce qu’il aspire à plonger le spectateur dans la confusion d’Anthony. En regardant le film, on ne comprend pas la détresse du personnage mais on comprend son incompréhension, en ce que la caméra de Zeller nous la fait vivre à chaque instant. Des murs de son appartement qui changent de couleur, jusqu’à l’oubli de l’apparence de ses proches, le regard du spectateur se calque sur l’évolution du mal d’Anthony. Tant et si bien que l’appartement confortable du vieil homme devient un labyrinthe dans lequel tout se perd : les apparences, les meubles, les accessoires, les futilités comme les choses essentielles de la vie.
The Father est aussi l’histoire de la fille d’Anthony, Anne, qui fait tout pour aider son père. Ce qui n’est pas aisé quand le père est persuadé d’être ancré dans la réalité. En effet, malgré les oublis et les confusions, Anthony met ses mésaventures sur le dos de la fatigue ou du malentendu. Une prise de conscience ardue s’ensuit puisque le protagoniste est en fin de vie. Il ne contrôle plus son destin, la maladie le fait pour lui. Peu à peu, il va s’apercevoir qu’il perd l’esprit. Ce que l’on pourrait craindre de la part de ce type de long métrage, c’est l’accentuation disproportionnée d’un apitoiement sur le personnage d’Anthony. Pourtant, cette dimension est relativement mesurée, puisque nous sommes face à un vieil homme de caractère qui ne se laisse pas abattre malgré une chute inéluctable.
Un cadre spatio-temporel biaisé
Si The Father retranscrit la maladie, il la conte intelligemment. En effet, Florian Zeller met en exergue la mouvance de la temporalité. Celle-ci est totalement biaisée, elle n’est plus continue mais totalement discontinue. Ce qui pousse le spectateur à se questionner sur le passé, le présent, et l’avenir qui nous sont exposés car, finalement, rien de ce qui est censé se dérouler ne se passe véritablement. De sorte qu’Anthony, à la toute fin du film, oublie même le voyage de sa fille, et semble presque ignorer le fait qu’il ait quitté son appartement. On déduit par ailleurs qu’Anne a décidé d’interner son père, choix qui a sans doute été particulièrement complexe quand on sait les efforts qu’elle a fait pour lui durant tout le film. Le faux l’emporte largement sur le vrai, l’absence de repères chronologiques dans un lieu clos mène à la folie.
La volonté du réalisateur était avant tout de créer un climat anxiogène au travers de différents procédés cinématographiques : accentuation des ombres, gros plans sur les tableaux, les murs, les portes. Cela tend à se rapprocher du thriller, dans une approche cependant homogène avec le drame. De telle sorte que demeurent aux yeux du spectateur les moments de lucidité d’Anthony. Lorsque le personnage est plongé dans la maladie, il n’y a que les autres qui peuvent en être affectés. Mais quand Anthony réalise lui-même qu’il se perd, alors son existence se brise. Cela est d’ailleurs visible grâce au jeu d’acteur d’Anthony Hopkins qui, par un air anéanti, parvient à faire transparaître de manière on ne peut plus fidèle la détresse d’un homme en mal de vivre. L’acteur octogénaire reçoit pour sa prestation l’Oscar du meilleur acteur en 2021.
Une œuvre théâtrale… au sens propre du terme ?
Toutes les récompenses reçues pour ce film, soit 26 au total, démontrent un intérêt presque surprenant pour un néo-réalisateur dont le film repose en réalité sur une pièce de théâtre. Ce qui a permis au film de ne pas souffrir d’un trop plein narratif ou technique : l’authenticité de l’acteur qui prime sur les effets spéciaux. Ces effets n’auraient pas été les bienvenus dans un drame qui ne témoigne en aucun cas de science fiction. Le sujet est réel tandis que le film semble presque surnaturel. The Father reste un film sans fil narratif, désarticulé, sans colonne vertébrale. On sait qu’il s’agit de la maladie d’Alzheimer, incontournable de l’intrigue, qui n’est paradoxalement jamais nommée. Le « labyrinthe de questions sans réponses » aurait-il pour finalité une fonction banale de tire-larmes ? Le Mag Cinéma, sur son site, évoque l’interprétation de Jean Rochefort de ce même rôle dans un film, selon lui, mieux orchestré : « Floride bénéficie d’une meilleure justesse de propos et d’une narration plus délicate, plus progressive ».
Doryann Lemoine
Sources :
https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=273981.html
http://www.lebleudumiroir.fr/critique-the-father/
© Couverture : Affiche de The Father, réalisé par Florian Zeller, 2021