Le XXIe siècle, où les morts sont déterrés pour l’Art
Vous venez de vous lever, le réveil a sonné trois fois, vous consultez votre téléphone, les yeux collés par une nuit de sommeil trop courte et, que voyez-vous ? Non, vous ne rêvez pas. Les Beatles sortent un nouveau titre, et John Lennon est parmi nous. Entre film de fiction américain et réalité, voici un avant-goût du progrès.
La voix des Beatles, ou ce qu’il en reste
Fondateur des Beatles, John Lennon est un auteur-compositeur-interprète qui joue plusieurs instruments de musique. Sur le plan politique, il est connu pour ses positions pacifistes, pour lesquelles il milite activement. En 1957, à 17 ans, il fonde le groupe des Quarrymen avec Paul McCartney, George Harrison et Ringo Starr. Le groupe évolue ensuite pour devenir les Beatles. Le 8 décembre 1980, il est assassiné par Mark David Chapman d’un coup de revolver. Sa mort est annoncée dans toutes les radios locales, John Lennon est incinéré au cimetière de Ferncliff à New York. Tout nous porte à croire qu’il n’est pas sorti de l’hôpital par la porte de derrière, en somme. Peu de doutes persistent, contrairement à la mort de Michael Jackson. Et pourtant, Paul McCartney affirme le 13 juin dernier : « Nous sommes arrivés à faire ce qui sera le dernier disque des Beatles ». C’est un coup de tonnerre dans le monde de la musique.
On imagine alors de nombreux scénarios. Il est déjà arrivé que des artistes enregistrent quelques chansons en studio, avant de mourir subitement, assassinés par exemple. C’est le cas de Now and Then, surnommée la « dernière chanson des Beatles ». Mais quelle valeur peut bien avoir une prétendue chanson des Beatles quand on sait que John Lennon est décédé depuis 43 ans et George Harrison depuis 22 ans ? Paul McCartney dissipe les doutes : « C’est officiellement un single des Beatles, car on a travaillé tous les quatre dessus ». Dès lors, comment cette chanson a-t-elle pu être forgée ?
Une renaissance par la technologie
Comme évoqué précédemment, il est fréquent que l’on publie titres ou même albums complets de façon posthume, soit après la mort de l’artiste. Pour les Beatles, la démarche part de là. L’histoire de Now and Then n’est pas toute nouvelle, mais débute en réalité dans les années 1990. À cette époque, les trois membres du groupe encore vivants appellent le producteur Jeff Lynne pour exhumer tous les travaux des Beatles encore non exploités. Démos, inédits et prises de studio servent à former un projet immense en trois doubles albums qu’on nomme « Anthology ». D’anciens titres expérimentaux sont mis en circulation, comme What’s The New Mary Jane. D’autres chansons telles que Free As A Bird ou Real Love, issues d’une bande démo de mauvaise qualité et enregistrées par John Lennon dans les années 1970, sont travaillées par les trois partenaires afin de les rendre exploitables. Ils veulent user du même procédé pour Now and Then mais rencontrent des obstacles majeurs. Harrison n’apprécie pas la chanson. La bande son est d’une qualité encore plus médiocre que les autres. Par ailleurs, ils manquent de temps. En fait, les musiciens britanniques sont confrontés à un problème de technologie : « À l’époque, on n’avait pas la technologie pour séparer la voix du piano », constate Paul McCartney (Radio France). John Lennon n’étant plus là, l’affaire est au point mort.
Toutefois, en 2010, le projet d’une série documentaire sur l’album Let It Be change la donne. Pour ajouter du réalisme à son travail, Peter Jackson emploie un nouveau dispositif de restauration d’image et de son. Cela permet notamment de diviser clairement voix et instruments. Séparer la voix de Lennon et le son cacophonique du piano dans la bande démo de mauvaise qualité est désormais possible. Ce qui fait que la voix du chanteur sonne comme si tout avait été enregistré en studio.
Faisons un saut dans le temps. Nous sommes en 2022. Sur la base évoquée ci-dessus s’ajoutent des éléments, comme des pièces de puzzle. Les parties de guitare enregistrées en 1995 par George Harrison sont conservées, auxquelles Paul McCartney additionne un solo de guitare slide. Ce dernier joue une nouvelle ligne de basse, et Ringo Starr ajoute une prise de batterie. Un arrangement de cordes est également enregistré, en secret, pour les besoins de la chanson. Un puzzle vous dis-je.
L’intelligence artificielle, nouvel outil de spéculation de l’art musical ?
« Je ne suis pas très présent sur Internet, [cependant] les gens me diront […] “c’est juste de l’IA tu sais ?” C’est un peu effrayant, mais aussi excitant, parce que c’est l’avenir. Nous devrons juste voir où cela mène. » confie Paul McCartney (Nostalgie). Sans réelle surprise, le titre Now and Then est numéro 1 des ventes au Royaume-Uni, en tête des charts, une première depuis cinquante-quatre ans pour les Beatles. Quid, en définitive, des retombées financières ? Et quid de la morale, de l’éthique ? L’IA dans le monde de la musique est-elle « l’avenir » comme le dit McCartney, enthousiaste ?
Doryann Lemoine
Sources :