Dans les rayons des supermarchés ou sur les étagères épurées des boutiques de cosmétiques, difficile d’échapper à la vague verte. Les produits se parent de feuilles, de fleurs et de gouttes d’eau cristallines. « Naturel », « clean », « respectueux de la planète », « non testé sur les animaux ». Pourtant, derrière ces slogans rassurants, une autre réalité se cache bien souvent. Car dans cet univers très codé, l’apparence compte souvent plus que le reste. Le secteur des cosmétiques est ainsi devenu un terrain fertile pour un phénomène aussi séduisant que trompeur : le greenwashing.
La fin des tests sur animaux en Europe : un fait ancien
Chaque jour, nous appliquons en moyenne sept produits cosmétiques : savon, shampoing, déodorant, parfum et autres soins, sans toujours nous interroger sur leur histoire. Parmi les promesses les plus fréquentes dans le marketing vert, celle du respect animal figure en bonne place. Depuis 2009, la législation européenne interdit formellement la commercialisation ou les tests des produits cosmétiques, ou de leurs ingrédients, sur les animaux. Pourtant, le fameux « non testé sur les animaux » trône fièrement sur de nombreux flacons et de nombreuses marques continuent de mettre en avant ce simple respect de la loi comme un mérite moral, laissant entendre qu’elles ont sciemment choisi d’aller au-delà de l’obligation légale.
Aujourd’hui, les tests sur animaux ont été remplacés par des méthodes alternatives : peau humaine reconstituée en laboratoire, cultures cellulaires issues de dons chirurgicaux ou d’abattoirs, et modélisations informatiques (QSAR) capables de prédire la toxicité d’une molécule. Ces approches, validées scientifiquement depuis plusieurs années, restent largement ignorées du grand public car moins visuelles et moins vendeuses qu’un slogan « cruelty-free ».
Quand le « naturel » devient un argument creux
Parmi les illusions les plus répandues dans l’univers cosmétique, celle du produit «?naturel?» tient une place de choix. Emballages verts, typographies manuscrites, feuilles dessinées, slogans évoquant la pureté et le retour à la nature : tout est mis en œuvre pour évoquer un monde sain et doux. Les mentions telles que «?99?
La formulation «?d’origine naturelle?» est souvent trompeuse : un ingrédient peut tout à fait provenir d’une matière végétale ou minérale à l’origine, mais être ensuite profondément transformé par des procédés chimiques complexes. Mais, peut-on encore parler de « naturel » lorsque le procédé qui mène à l’ingrédient est industriel ? Et surtout, cela garantit-il un produit plus sûr ou plus écologique ? La réponse est loin d’être évidente.
Le mot «?naturel?» évoque spontanément une forme de bienveillance ou de sécurité, mais cette intuition est fausse. Comme le rappelait Paracelse, médecin du XVIe siècle considéré comme le père de la toxicologie, «?Tout est poison, rien n’est poison : c’est la dose qui fait le poison.?» Autrement dit, un ingrédient naturel peut tout à fait être toxique, tandis qu’un composé synthétique peut être parfaitement sûr. En effet, il existe de nombreux exemples comme l’arsenic et le mercure, qui sont naturels et pourtant mortels.
Dans certains cosmétiques, le label « clean » cohabite ainsi avec des ingrédients problématiques comme les silicones, certains conservateurs soupçonnés d’être des perturbateurs endocriniens, ou encore des allergènes peu réglementés. Ces contradictions reposent sur un flou juridique : contrairement à des termes encadrés comme « biologique », le mot « naturel » ne fait l’objet d’aucune définition légale précise. Il devient alors un outil marketing transformable, que chacun peut s’approprier sans contrôle ni engagement réel.
Consommer avec lucidité
Ce décalage constant entre l’apparence d’un engagement et la réalité demande une vigilance accrue de la part des consommateurs. Les marques ne sont pas seules responsables, elles réagissent aussi à une attente du marché. Heureusement, il est possible de dépasser le discours marketing. Des labels indépendants, comme Cosmébio, Ecocert ou Nature & Progrès, offrent des garanties de transparence, imposant des règles strictes et garantissant l’absence de substances controversées comme les OGM, les parabènes ou les silicones.
Dans l’industrie cosmétique, l’image est essentielle. Le discours écologique n’est pas toujours mensonger, mais il est souvent conçu pour séduire plutôt que pour informer. Le greenwashing ne vend pas seulement un produit, il vend une histoire.
Cependant, des progrès réels ont eu lieu ces dernières années. De plus en plus de pays interdisent les tests sur les animaux, et la tendance mondiale pour un monde sans cruauté animale se renforce. Ce changement montre une prise de conscience croissante, tant chez les consommateurs que chez les industriels, qui s’adaptent aux attentes éthiques. Même s’il reste encore des efforts à faire pour plus de transparence, l’industrie cosmétique évolue vers plus de responsabilité et de respect des normes éthiques.
Maiwenn Le Meur
Ressources utiles
INCI Beauty : entrez le nom d’un produit ou scannez son code-barres pour voir sa composition, les ingrédients controversés et des alternatives mieux notées.
La vérité sur les cosmétiques : recherchez un ingrédient (nom INCI) et découvrez s’il est considéré comme bon ou problématique.
Sources
Commission européenne, « Règlement (CE) No 1223/2009 du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 relatif aux produits cosmétiques », Journal officiel de l’Union européenne, 22 décembre 2009, URL : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32009R1223 [ Consulté le 6 mai 2025 ].
s.n., « Cosmétiques : comment mieux protéger la santé des consommateurs ? », Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), 3 février 2025, URL : https://www.anses.fr/fr/content/cosmetiques-comment-mieux-proteger-la-sante-des-consommateurs [ Consulté le 6 mai 2025 ].
Bercy Info, « Labels bios : comment vous y retrouver ? », Ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, 30 novembre 2023, URL : https://www.economie.gouv.fr/particuliers/comprendre-labels-bios# [ Consulté le 6 mai 2025 ].
HECKELMAN Kasey, « Les silicones dans les cosmétiques : ce qu’il faut savoir ! », Cosmébio, 18 décembre 2023, URL : https://www.cosmebio.org/fr/nos-dossiers/silicones-cosmetiques-effets-environnement/ [ Consulté le 6 mai 2025 ].
Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS), « Concilier protection animale et amélioration de la prédiction : les méthodes alternatives en expérimentation animale », Ineris Références, décembre 2013, URL : https://www.ineris.fr/sites/ineris.fr/files/contribution/Documents/ineris-dossier-ref-methodes-alternatives.pdf [ Consulté le 6 mai 2025 ].
Crédits photographiques : Natural soap and brush on folded towels, Pexels, https://www.pexels.com/photo/natural-soap-and-brush-on-folded-towels-4210373/.