L’ère des réseaux sociaux a permis l’émergence de divers mouvements, dont le mouvement Red Pill majeur aux États-Unis qui se répand désormais dans le monde. Ce mouvement tient son nom du film Matrix, où le protagoniste a le choix entre deux pilules : la bleue ou la rouge. La bleue le laisserait dans l’ignorance de son monde familier, la rouge lui révélerait quel monde réel se cache derrière la simulation informatique dans laquelle il vit. Ainsi, le mouvement reprend l’idée d’une forme de simulation du monde.
En effet, le mouvement Red Pill rassemble des courants de pensée convaincus que la majorité de la population préfère se raccrocher à des mensonges rassurants ou politiquement corrects plutôt que d’affronter la réalité. C’est un mouvement qui s’inscrit dans l’extrême droite américaine qui prône la conception d’un monde gouverné par les démocrates pour les femmes, les immigrés, les LGBTQIA+ ou autres groupes habituellement assignés comme minorités oppressées. Dans cette logique, à partir du moment où tous ceux qui n’ont pas pris la Red Pill vivent encore dans une simulation, une illusion, tout dialogue avec eux est impossible. C’est notamment dans ce sens-là que ce mouvement s’entend comme radicalisation.
Par cette dénomination de Red Pill, le mouvement est directement corrélé à l’idée d’une simulation et de sa réalisation. À l’origine, ce terme était surtout utilisé par les incels du forum anglophone 4chan. Il s’agit d’individus convaincus que la libération sexuelle et les applications de rencontres ont créé des rapports hommes / femmes déséquilibrés et qu’une partie des hommes est condamnée par leur génétique à ne jamais trouver de partenaires. En France, ces idées ont d’abord trouvé du succès auprès du forum 18-25 ans de Jeuxvidéo.com.
Il s’agit maintenant de se convertir à une idéologie prônant la supériorité masculine blanche. Dans son ouvrage Not All Dead White Men. Classics and Misogyny in the Digital Age (2018), Donna Zuckerberg définit les membres du mouvement Red Pill : ils sont plus jeunes que la moyenne des conservateurs, blancs et de sexe masculin. Ils sont antisémites, homophobes, transphobes et certains se décrivent comme néo-nazis. Le mouvement a atteint son plus grand succès après la première élection de Trump.
C’est donc un mouvement qui s’entretient avant tout à travers les réseaux sociaux, tout en impactant le monde réel. Le collectif de médias Unicorn Riot et le site de journalisme participatif Bellingcat ont publié une enquête sur ces méthodes de conversion en 2018. Des centaines de messages postés sur Discord par des membres du groupuscule néo-nazi Atomwaffen ont alors été analysés. Ce groupuscule a été cité dans cinq revendications d’assassinats depuis 2016, au moment de l’enquête.
Pourtant, malgré cet impact bien réel, les réseaux sociaux restent le lieu par excellence de simulations de vies. Ainsi, tout ce que promet ce mouvement reste de l’ordre du simulacre. C’est plus communément sous la forme de mèmes que le mouvement se répand. Selon le journaliste Robert Evan, qui a signé l’enquête mentionnée plus tôt : « Il n’est pas rare de voir des croyances suprémaciste, fasciste ou antisémite monter grâce à l’humour. S’habituer aux mèmes ironiques et une façon de tester la température du bain avant de plonger dedans. » YouTube reste le média préféré du mouvement avec de nombreux vidéastes tels que Steven Crowder, Paul Joseph Watson, Milo Yiannopoulos et Black Pidgeon Speaks.
L’enquête révèle cependant que la plupart des internautes sensibles à la pilule rouge semblent avoir déjà été exposés à une idéologie d’extrême droite pendant leur enfance. De quoi mieux comprendre la mécanique de radicalisation qui est à l’œuvre. L’implication dans ce mouvement résulte le plus souvent d’une pluralité d’influences et pas seulement des réseaux sociaux, puisque l’algorithme se construit aussi selon les intérêts du consommateur.
Ainsi, le mouvement se retrouve à un carrefour des simulations. La simulation désigne une fausse apparence. Or, si le mouvement Red Pill dit s’être réveillé d’un monde qui n’est en réalité qu’une fausse apparence, il le communique sur Internet, paradis des fausses apparences. Le radicalisme a certes un impact réel, comme on a pu le voir avec le soutien majeur des adeptes du mouvement Red Pill pour Trump. Alors, bien qu’on parle de simulation de simulation, les personnes qui s’accordent sur ces mêmes idéologies sont réelles. Il restera toujours la question depuis la naissance d’Internet, de l’écart entre la vie digitale et la vie réelle, mais il va sans conteste qu’il existe une influence entre les deux mondes.
Solveig Ambec
Crédits photographiques : Red and blue pills, licence Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International, Wikipedia Commons, https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Red_and_blue_pill.jpg.
Sources
MARCHE Stephen, « Swallowing the Red Pill : a journey to the heart of moderne misogyny », The Guardian, 14 avril 2016, URL : Swallowing the Red Pill: a journey to the heart of modern misogyny | Gender | The Guardian, [ Consulté le 31 mai 2025 ].
BLANC Elie, « Le mouvement Red pill, l’idéologie woke des conservateurs », Contrepoints, 13 juin 2021, URL : Le mouvement Red pill, l’idéologie woke des conservateurs – IREF Europe – Contrepoints, [ Consulté le 31 mai 2025 ].
RAHMIL David-Julien, « Red pill : le mouvement qui utilise des mèmes pour convertir au fascisme », L’ADN, 15 juin 2018, URL : Red pill : le mouvement web qui utilise des mèmes pour convertir au fascisme, [ Consulté le 31 mai 2025 ].
EVANS Robert , « From Memes to Infowars : How 75 fascists activists were “Red-pilled” », Bellingcat, 11 octobre 2025, URL : https://www.bellingcat.com/news/americas/2018/10/11/memes-infowars-75-fascist-activists-red-pilled/, [Consulté le 3 juin 2025 ].