Reproduire l’humain en laboratoire : cellules souches et modèles animaux

Imiter le corps humain sans l’utiliser directement : une idée qui relevait autrefois de la science-fiction devient aujourd’hui réalité. Organoïdes, biopuces, modèles animaux humanisés… les laboratoires développent des alternatives à l’expérimentation sur l’Homme. Mais cette reproduction soulève autant de promesses que de questions, et jusqu’où peut-on simuler l’humain sans l’utiliser en tant que modèle expérimental ?

Jusqu’au milieu du XXe siècle, l’expérimentation humaine a été largement pratiquée dans l’espoir de mieux comprendre le vivant et de développer des traitements plus sûrs. Mais les dérives éthiques, en particulier celles commises pendant la Seconde Guerre mondiale, ont conduit à une remise en question profonde de ces pratiques. Depuis, des cadres juridiques stricts ont été instaurés pour encadrer les recherches impliquant des êtres humains.

Aujourd’hui, l’humain n’intervient plus qu’en bout de chaîne, principalement dans les dernières phases des essais cliniques, lorsque les risques toxicologiques ont déjà été écartés. Cela ne signifie pas qu’il est absent de la recherche : les volontaires jouent encore un rôle crucial, notamment dans les tests de vaccins ou de nouveaux traitements, où ils permettent d’évaluer l’efficacité et la tolérance de ces solutions avant leur mise sur le marché. Mais leur participation est désormais encadrée par une logique de précaution et de consentement éclairé.

Les cellules souches humaines, capables de se différencier en une grande variété de cellules spécialisées, ont révolutionné la recherche biomédicale. Grâce aux progrès en culture cellulaire et en génie génétique, les scientifiques peuvent aujourd’hui créer des organoïdes : de minuscules modèles tridimensionnels d’organes capables d’imiter certaines fonctions physiologiques.

Ces structures permettent de mieux comprendre des maladies, de tester des substances ou d’observer des réactions cellulaires sans recourir à un organisme vivant. Pourtant, malgré leur apparente sophistication, ces mini-organes restent loin de reproduire l’intégralité des processus biologiques. Par exemple, les organoïdes cérébraux peinent à recréer les circuits neuronaux complexes ; ceux cardiaques ne peuvent battre que quelques secondes.

En parallèle, les biopuces sont de petits dispositifs qui réunissent plusieurs types de cellules sur un même appareil. Grâce à un système de perfusion qui fait circuler en continu un milieu nourrissant, elles permettent d’étudier rapidement les interactions entre ces cellules. Récemment, une biopuce a été développée pour recréer un modèle d’intestin miniature qui comprend différents types de cellules de l’intestin et du système immunitaire humain, qui s’organisent comme dans un vrai intestin. Cela permet aux chercheurs de voir la réaction de l’organe face aux infections ou aux bactéries, et de mesurer différents indicateurs de santé du tissu, comme la façon dont les cellules se protègent ou communiquent.

Ces outils, en se rapprochant toujours plus du fonctionnement réel du corps, ouvrent de nouvelles possibilités pour mieux comprendre les maladies et tester des traitements, même s’ils ne remplacent pas encore complètement les études sur des organismes vivants.

Une autre stratégie repose sur les modèles animaux humanisés : des animaux – le plus souvent des souris ou des rats – dans lesquels on introduit des cellules, des tissus ou même des gènes humains. Ce procédé permet d’observer dans un organisme vivant le comportement de cellules humaines, notamment dans le cadre de pathologies comme le cancer ou les maladies neurodégénératives.

Ces modèles permettent aux chercheurs d’étudier l’évolution de tumeurs humaines, par exemple, ou de tester l’efficacité de molécules thérapeutiques dans des conditions biologiques plus proches de celles du corps humain. Pour suivre ces processus, on utilise parfois des cellules fluorescentes qui permettent de visualiser les mécanismes à l’œuvre en temps réel.

Bien que ces pratiques soient encadrées par une réglementation stricte pour minimiser la souffrance animale, l’humanisation des animaux soulève d’importantes questions éthiques. De plus, ces animaux doivent souvent être immunodéprimés pour éviter le rejet des cellules humaines, ce qui altère le fonctionnement de leur système immunitaire et peut biaiser les résultats. 

La recherche sur la reproduction de l’humain en laboratoire offre d’immenses promesses, mais elle révèle également ses propres limites. La reproduction du corps humain en laboratoire ouvre des perspectives mais révèle également ses propres limites. D’un côté, les avancées issues des cellules souches, des organoïdes et des biopuces permettent de modéliser des fonctions biologiques complexes sans avoir recours au vivant. De l’autre, les modèles animaux humanisés offrent un cadre vivant qui se rapproche davantage de la physiologie humaine, tout en soulevant d’importantes controverses.

À l’heure actuelle, il nous faut choisir ou combiner ces deux alternatives, ni totalement fiables ou éthiques, mais qui restent nécessaires. Le chemin vers une modélisation parfaite du corps humain reste semé d’embûches, nous incitant à repenser nos pratiques scientifiques et à équilibrer progrès et éthique.

Crédits photographiques : Ecole Polytechnique, Flickr, 2017, ?https://www.flickr.com/photos/117994717@N06/32228205110.

Sources

AMIEL Philippe, Des cobayes et des hommes : expérimentation sur l’être humain et justice, Paris, Les Belles Lettres, coll. « Médecine & Sciences Humaines », 24 février 2011.

BOURDET Julien, « Les organoïdes : de mini-organes aux maxi-pouvoirs », CNRS Le journal, 10 octobre 2022, URL :  https://lejournal.cnrs.fr/articles/les-organoides-de-mini-organes-aux-maxi-pouvoirs [Consulté le 27 mai 2025].

FEILE Adrian et al., « Modèle d’intestin sur puce immunocompétent pour l’analyse des réponses immunitaires de la muqueuse intestinale », Journal of Visualized Experiments, 24 mai 2024, URL : https://app-jove-com.remotexs.ntu.edu.sg/fr/t/66603/immunocompetent-intestine-on-chip-model-for-analyzing-gut-mucosal [Consulté le 27 mai 2025].

HARDIN-POUZET Hélène and MOROSAN Serban, « Des souris, des rats et des hommes : en quoi les modèles rongeurs restent indispensables pour la production de connaissances »,  médecine/sciences, 22 mai 2019, URL : https://www.medecinesciences.org/en/articles/medsci/full_html/2019/06/msc180291/msc180291.html. [Consulté le 27 mai 2025].

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