Le monde de demain

Ceci est un récit de fiction ayant pour objectif de réfléchir aux questions philosophiques très à la mode en ce moment et concernant la post-pandémie : De quoi sera constitué le monde de demain ? Est-il vraisemblable d’envisager notre environnement de manière dystopique ? Ou sommes-nous conditionnés par des contenus qui nous entraînent à réfléchir de la sorte ? 

Il est 20h et j’ai à nouveau mon rendez-vous hebdomadaire avec notre chef d’Etat. 

« Française, français je peux désormais vous annoncer avec grand enthousiasme que nous avons vaincu le virus. Nous avons gagné une bataille mais, vous le savez aussi bien que moi, nous n’avons pas remporté la guerre. Le nombre de nos défunts et le réaménagement complet de notre quotidien peuvent en témoigner. Il faut aujourd’hui, plus que jamais, que votre esprit prenne conscience que cet événement, par son caractère tragique et son importance, ne prendra jamais réellement fin. Ne relâchons pas nos armes citoyens et affrontons ce nouveau monde avec bravoure. » Que veut-il dire par nous avons combattu le virus ? Voilà six mois que nous avions l’interdiction totale de sortir de chez nous. Seules certaines personnes mobilisées par le gouvernement avaient, paraît-il, l’autorisation de s’extrader hors de chez eux. À la manière d’un service civique, ils ont reconstruit nos villes, nos campagnes. De nombreux aménagements ont été effectués mais nous n’avons pas eu l’occasion d’en voir la matière pour le moment. S’il était possible d’imaginer en quoi cette reconstruction consistait à travers nos fenêtres, cela restait complexe de comprendre de quoi il était réellement question. « Il est de mon devoir, en cette soirée inoubliable, de vous expliquer quels changements ont été effectués en votre absence. Chers compatriotes, voilà à quoi votre futur va ressembler ». 

L’image physique de notre dirigeant s’efface pour laisser place à une vidéo de présentation un peu grotesque. La première annonce concerne la nouvelle disposition de nos déplacements où nos rues piétonnes, nos avenues et le sol des magasins, comme ceux du métro, sont désormais recouverts de flèches de circulation. 

De ce fait, « la tentation de s’arrêter ou de ralentir sera divisée par deux, le citoyen pourra se rendre plus rapidement à son lieu de travail sans gêner l’ensemble du trafic piétonnier. En ce qui concerne les ruelles ou mêmes les sentes, seules les personnes possédant un domicile en ces lieux seront autorisées à y circuler ». La vidéo se poursuit en projetant une multitude d’images étourdissantes où flèches et panneaux de signalisation déforment le paysage urbain. « En réponse à la demande de lits supplémentaires et à de nouvelles infrastructures hospitalières nous avons réquisitionné plus de 15 000 bâtiments et entrepôts où pourront être accueillis tous nos malades. Vous trouverez également à votre disposition, dans chaque arrondissement, ou plus largement dans chaque commune, des stands de dépistage ouverts sept jours sur sept ». Comment ont-ils pu obtenir autant de nouveaux espaces ? Malheureusement, cela est sûrement dû à la fermeture de milliers d’entreprises. Nous avions entendu quelques jours plus tôt que bon nombre d’industries vestimentaires et de cosmétiques avaient mis la clé sous la porte. Sans parler du nombre de cafés, de restaurants, de bars ou encore de boîtes de nuit qui ne participeront plus à la désinhibition de chacun. D’ailleurs à ce propos, les nouvelles mesures tombent : « Tout établissement clos recevant du public sera soumis à un nouveau calcul de superficie. Ainsi, pour être en règle, l’espace sera dans l’obligation de respecter une surface de 120 m2 minimum ». Adieu l’ambiance des petits cafés et restaurants qui accueillaient ceux qui ne voulaient pas être vus, ni reconnus. Si la vie nocturne pourra de nouveau exister comme nous le précise le gouvernement, il faudra en revanche s’habituer à respecter des règles d’hygiène qui, il y a quelques années, auraient fait ricaner le peuple français tout entier, tant elles auraient paru impraticables. 

Je pense à tous ces parents qui diront à leurs enfants : « Non tu ne peux pas aller chez ta copine cet après-midi, on raconte que ses parents ne se sont pas fait tester depuis deux semaines. Et puis franchement leur hygiène laisse à désirer ». À ces mêmes parents qui préfèreront avoir le réflexe de mettre deux flacons de gel hydroalcoolique senteur fraise et plusieurs petits masques ornés de papillons attendrissants dans les cartables plutôt qu’une compote pomme mirabelle et une corde à sauter. À ces enfants à qui on ne dira plus « va lui faire un bisou pour la remercier de ce gentil cadeau » mais à qui on dira « remercie-la mais demande lui d’abord si tu peux la prendre dans les bras ». À ces étudiants toujours dans l’incertitude de pouvoir, un jour, revoir leurs professeurs. L’allocution est bientôt terminée, aucune information n’a été livrée concernant le port du masque. Le gouvernement lui-même n’est toujours pas en mesure de nous dire lorsqu’il sera possible de se sentir à nouveau libre de respirer, même trois ans après que le pays ait été attaqué. J’éteins la télévision ; de toute façon, si d’autres indications sont annoncées, je le saurais d’une manière ou d’une autre. Dehors une ambiance de fête règne, on fête la victoire, une victoire qui laisse pourtant un goût amer en bouche.

Camille PATURANGE

Couverture : © Lima

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