Samedi 10 décembre 2022, le 11e arrondissement de Paris a accueilli dans un espace de près de 6000 m2 le « bon Super Market », une grande brocante de Noël organisée par le célèbre site Leboncoin. Le week-end suivant, ce fut au tour de Vinokilo d’organiser dans la capitale le « Vintage Kilo Sale », une immense vente entièrement dédiée à l’habillement de seconde main. Ces deux rendez-vous des adeptes de la mode d’occasion témoignent d’un engouement assez récent autour de la seconde main, particulièrement depuis la crise liée à la covid.
L’industrie de la mode est confrontée depuis la fin des années 1990 à des enjeux environnementaux, économiques et éthiques, la tendance récente étant à la surproduction et à la surconsommation de vêtements par les géants de la fast fashion (ou « mode éphémère »). Mais depuis quelques années, les habitudes de consommation des acheteurs ont évolué, et on voit le marché de la seconde main s’imposer de plus en plus nettement dans l’industrie textile, avec notamment le fleurissement de friperies et de sites de revente comme Vinted, qui illustre parfaitement l’ampleur d’un phénomène qui semble s’inscrire dans le temps.
La mode d’aujourd’hui : entre pollution et surconsommation, le marché de la seconde main veut se faire une place dans l’industrie textile
Selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), 100 milliards de vêtements sont vendus chaque année dans le monde, soit 60 % de plus qu’il y a quinze ans. En moyenne, chaque personne achète 5 kg de vêtements par an. En Europe et aux États-Unis, la consommation est même trois fois plus élevée, allant jusqu’à 16 kg par individu.
Cette industrie très polluante est nettement dominée par la Chine, qui exporte à elle seule plus d’un tiers des vêtements produits, et constitue l’un des acteurs clés de la fast fashion. Mais en parallèle, les vêtements de seconde main séduisent de plus en plus de consommateurs, qui ont vu leur pouvoir d’achat diminuer ces dernières années.
Une mode éphémère aux conséquences délétères sur l’environnement
Pour comprendre l’engouement autour du marché de la seconde main, il faut d’abord revenir sur les chiffres ahurissants des géants du textile, et en particulier ceux de la fast fashion.
Aujourd’hui, l’industrie textile est responsable d’une dégradation de l’environnement à plusieurs niveaux : la pollution de l’air, des eaux douces et des océans, et celle des sols.
L’étude menée par The Eco Experts estime que l’industrie de la mode émet environ la même quantité de gaz à effet de serre par an que l’ensemble des économies réunies de la France, de l’Allemagne et du Royaume-Uni.
De surcroît, selon le rapport de WWF datant de 2017 sur l’environnement et l’innovation, ce secteur contribue significativement aux émissions mondiales de gaz à effet de serre, avec 1,7 million de tonnes de CO2 par an, soit plus que les émissions des transports maritimes et aériens combinées.
L’industrie textile, en plus de consommer énormément d’eau, la pollue également. En effet, 4% de l’eau potable dans le monde est destinée à la fabrication de vêtements.
Enfin, cette industrie produit annuellement 2,1 milliards de tonnes de déchets (vêtements invendus et chute de tissus lors de la coupe inclus). En Europe, 4 millions de tonnes de textiles neufs ou usagés sont jetés chaque année.
La surproduction de vêtements pour la fast fashion a conduit à l’exportation de quantités croissantes de vêtements usagés des pays consommateurs vers les pays les moins développés. Chaque jour, environ 200 tonnes de déchets textiles (l’équivalent de 75 camions) finissent par être jetés, brûlés ou envoyés dans des décharges gigantesques comme celle au large des côtes d’Accra, la capitale ghanéenne, ou plus récemment à Alto Hospice dans la banlieue d’Iquique au Chili.
Fast fashion : le profit au détriment des travailleurs
L’industrie textile était encore il y a une dizaine d’années une industrie très opaque ; mais certains événements comme l’effondrement du Rana Plaza (voir la carte ci-dessus) le 24 avril 2013 au Bangladesh, causant la mort de 1 127 personnes, ont éveillé les soupçons du grand public. Plusieurs lanceurs d’alertes et journalistes d’investigation ont ainsi décidé de se renseigner sur les dessous de la fabrication des vêtements issus de la fast fashion.
Les groupes industriels du textile choisissent de délocaliser leur production pour limiter les coûts. Cette délocalisation participe du même coup à l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre, les modes de transport usités étant les plus énergivores.
Autre problème : les normes des pays producteurs – Inde, Bangladesh… – étant moins strictes et les contrôles moins fréquents, les sociétés sont libres d’imposer des conditions de travail parfois dangereuses pour les travailleurs.
De nombreux rapports pointent du doigt les conditions de travailleurs qui sont sous-payés – à peine 10 dollars par mois dans les pays les moins développés -, exploités et mal protégés par un code du travail qui n’est pas toujours appliqué. Certains dénoncent même une forme d’esclavage moderne, obligeant notamment des enfants de moins de 14 ans à travailler pour subvenir aux besoins de leur famille. D’après le rapport de la commission indienne pour la protection des droits des enfants effectué en 2014 et 2015, la part des enfants qui travaillent dans les champs de coton est de 25 %. Ils sont aussi exposés à des produits chimiques nocifs pour la santé tels que les azurants chimiques utilisés pour le blanchiment du coton. Malgré leur toxicité reconnue au sein de l’Union européenne, ils sont autorisés dans beaucoup de pays producteurs.
L’utilisation de ces produits est même responsable de l’apparition de maladies. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), plus de 20 000 producteurs de coton meurent chaque année, intoxiqués par les pesticides et autres produits phytosanitaires utilisés dans les champs de coton non biologiques.
La percée du marché de la seconde main dans l’industrie textile
Le fonctionnement actuel de l’industrie textile se résume en trois mots : Produire–distribuer–jeter. Mais depuis les années 2000, des changements dans les modes de consommation des acheteurs rendent possible le modèle d’une économie circulaire dans le milieu de la mode.
En effet, depuis la crise de 2008, la baisse du pouvoir d’achat des Français, combinée à une montée de l’inflation, a entraîné une réduction du budget shopping des foyers. En parallèle, les nouvelles générations ont largement été sensibilisées aux problématiques de réchauffement climatique et aux enjeux environnementaux de notre siècle, ce qui a eu un impact sur leurs habitudes de consommation en matière d’habillement.
Les consommateurs n’hésitent plus à revendre leurs vêtements ou à en acheter dans des vides-dressings, des brocantes, des boutiques associatives, des friperies ou bien encore sur des sites de revente. Tous ces commerces font partie du marché des vêtements de seconde main.
La seconde main est un mode de consommation qui se veut durable, éthique et circulaire, avec comme mots d’ordre : acheter – vendre – échanger.
En outre, ce marché définit une nouvelle manière de faire son shopping qui séduit pour la première fois pas moins de 188 millions de personnes dans le monde en 2021 suite à la pandémie de covid. Selon Statista, la taille du marché mondial des vêtements d’occasion atteindra les 51 milliards de dollars en 2023, et les données de GlobalData indiquent que d’ici 2030, le marché de la seconde main devrait valoir 84 milliards de dollars.
Jessy Lemesle
Couverture : © Image par JamesDeMers de Pixabay