“Ce n’est pas un caprice ou une fantaisie d’écrire sur les putes, c’est une nécessité. C’est le début de tout. Il faudrait écrire sur les putes avant de pouvoir parler des femmes, ou d’amour, de vie ou de survie”. Cette nécessité, Emma Becker la prend à bras le corps et part pour Berlin et ses maisons closes sur lesquelles elle veut écrire depuis longtemps. Deux ans et demie de travail dans un bordel plus tard, elle nous livre son expérience dans La Maison (Flammarion, 2019).
Ce livre est comme une promesse : celle d’enfin lire la vraie vie d’une prostituée, loin des fantasmes plus ou moins glauques des hommes et des médias. On ne veut être embarqué.e.s ni dans Nana, ni dans un Enquête d’Action au bois de Boulogne. Alors, comme Alice, nous ouvrons ce livre et courons les pages, impatient.e.s de découvrir ce wonderland qui nous intrigue, couvert d’une épaisse brume de tabous vieille de plusieurs siècles.
Des tabous, l’auteure ne semble pas en avoir. Elle emploie des mots crus et préfère “queue” ou “chatte” à leurs synonymes scientifiques. Cela n’empe?he en rien l’espèce de romantisation de son récit. Elle parle de travail bien-sûr, mais aussi d’amour, de quotidien, de désir et de femmes. De ces femmes dont elle fait si bien le portrait. C’est d’ailleurs sans-doute dans ces femmes que réside la force de son livre, plus que les prostituées qu’elles sont à côté de leur autre travail, de leur rôle de mère, de soeur ou d’épouse.
Emma Becker, alias Justine dans La Maison, raconte les ambiances des chambres et des pauses clopes à attendre l’entrée des clients dans le salon des filles. Le temps qui passe, parfois très rapidement, lorsque le client prend sa douche et qu’il faut se mettre au travail, parfois trop lentement, quand l’un d’eux la répugne et commande deux heures de services supplémentaires. Les relations, d’elle à elles et d’elles à eux, parfois confuses, déformées par la simulation et le désir, pour ces hommes qui paient pour “baiser”, et pour ces femmes payées pour (faire semblant de) désirer.
En revanche, nous pouvons être un peu déçu.e.s de toutes ces interrogations qui nous restent en tête une fois le livre refermé. Les conditions de travail, la difficulté, la dangerosité du travail du sexe ne sont qu’évoquées, au détour parfois d’une simple promenade hivernale dans les rues berlinoises.
“Écrire sur les putes” semble aujourd’hui être une nécessité. Il est temps d’ouvrir les portes trop closes de ces maisons et de ce métier que l’on dit être le plus vieux du monde.
Valentine L. Delétoille (@Valenttined)
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