Dépression et champignons : et si la psilocybine apportait une réponse aux patients ?

Ce mois-ci, Alma Mater vous propose un dossier sur la maladie mentale. Dans cet article, nous avons enquêté sur de nouvelles pistes de traitement pour le moins surprenantes : les substances psychoactives et les dérivés de chanvre.

 

Crise de l’hôpital psychiatrique, augmentation du nombre de dépressions en France au cours des vingt dernières années… qu’on le veuille ou non, la maladie mentale doit être discutée comme un fait de société. Paradoxalement, alors que l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) estimait en 2001 qu’une personne sur quatre souffrirait dans sa vie de troubles psychiatriques[1], ces maladies sont encore méconnues du grand public et l’imaginaire négatif lié à la « folie » dissuade de consulter.

Même si la connaissance des parcours de soins reste pour le moins nébuleuse, le grand public sait en général que quand voir un psychologue ne suffit plus, les patients sont orientés vers une prise de médicaments afin de soulager leurs symptômes. Mais que se passe-t-il lorsque la personne n’est pas réceptive et que tous les traitements échouent ? Il arrive parfois que les antidépresseurs et anxiolytiques restent sans effet, ou aggravent les symptômes des malades. Face à ces formes de dépressions « résistantes » ou chroniques, la recherche scientifique et médicale se tourne vers certaines drogues récréatives avec l’espoir de formuler de nouveaux traitements. Une substance a en particulier fait parler d’elle : la psilocybine.

1 : Petit tour d’horizon de la psilocybine

La psilocybine constitue le principe actif de plusieurs variétés de champignons dits « hallucinogènes ». Associée à la culture hippie et à un autre alcaloïde célèbre tiré de l’ergot du seigle, le LSD, la psilocybine est consommée depuis des millénaires pour ses propriétés psychotropes. Elle a notamment été utilisée dans des cérémonies rituelles par des cultures d’Amérique Latine telles que les Aztèques. Aujourd’hui encore, les champignons hallucinogènes, « champis », « magic mushrooms », ou « shrooms » restent un enthéogène très populaire. Faciles à cultiver chez soi, les champignons magiques profitent du flou juridique qui existe autour de leur légalité pour se vendre dans les coffee shops d’Amsterdam, jusqu’aux années 1990 et 2000, lorsque les Etats européens sévissent et les interdisent sur leur territoire. Si les lois n’ont pas changé, le vent semble aujourd’hui tourner en faveur des psilocybes ; dans un mouvement plus large d’assouplissement des législations anti-drogue concernant les psychoactifs. Ainsi, plusieurs grandes villes américaines ont pris des décisions historiques en légalisant les psilocybes : Denver dans le Colorado a été la première ville à franchir le pas en 2019, rapidement suivie par Oakland en juin, Chicago en octobre, puis par Santa Cruz en janvier 2020.

2 : Pourquoi les psilocybes intéressent tant ?

Journaliste au quotidien national britannique The Guardian, Josh Jacobs est allé enquêter sur les traitements à la psilocybine proposés aux patients en dépression chronique qui ont lieu à l’hôpital de Hammersmith, un quartier londonien[2]. Et les résultats sont surprenants : pendant leur trip, les volontaires ont des hallucinations, explorent leurs souvenirs, font leur deuil, et se sentent finalement plus en paix avec eux-mêmes. Certains utilisent des analogies informatiques, et parlent de redémarrage de leur cerveau malade.

À la suite de tests cliniques d’avant-garde réalisés à l’Imperial College London, les résultats étaient là aussi très encourageants. Chez les douze participants atteints de dépression sévère et résistante aux médicaments, « la psilocybine a permis de soulager la dépression de tous les volontaires sans exception pendant trois semaines, et a par la suite permis d’éviter une rechute pendant trois mois pour cinq d’entre eux ». [3]

pUtiliser la psilocybine en médecine n’est pas une idée nouvelle.  Le scientifique suisse Albert Hofmann, connu pour avoir isolé la psilocybine en 1957 et avoir testé sur lui-même les effets du LSD quinze ans plus tôt, travaillait pour le groupe pharmaceutique Sandoz. L’entreprise vendit dès les années 60 les droits des deux substances pour des usages pharmacologiques. Mais la mauvaise réputation de drogue récréative des psychoactifs et leur association à la contre-culture pacifiste aux États-Unis vint perturber ces recherches, et cette piste fut abandonnée au profit des antidépresseurs et traiteanxiolytiques classiques. 

3 : Explorer d’autres pistes

Malgré les résultats prometteurs des essais cliniques, la psilocybine demeure classée comme stupéfiant en France, et ce depuis 1990. Sa possession est donc passible de sanctions pénales. De plus, si les tests en hôpital sont positifs, il faut garder à l’esprit que la psilocybine utilisée pour ces expériences est synthétisée en laboratoire ; la quantité de psychoactif est déterminée au gramme près et l’ingestion se fait au sein d’une structure médicale avec une équipe de soins, au cas où quelque chose se passerait mal. Cultiver ses propres « champis » pour soigner sa dépression comporte des risques : de surdose d’abord, mais aussi de « trip ». Le trip est un état hallucinatoire caractérisé par une perte de ses repères dans la réalité, et qui peut parfois virer au « bad trip » : les hallucinations se transforment alors en cauchemar éveillé, la personne peut revivre des souvenirs traumatiques, ou se mettre physiquement en danger. Cet état second peut donc avoir des conséquences graves voire causer des dommages irréversibles.

Même les plus fervents défenseurs de son utilisation médicale reconnaissent aujourd’hui que les effets de la psilocybine sur le cerveau sont encore méconnus, et qu’il faut conduire des essais cliniques sur des populations plus importantes pour en confirmer l’efficacité. Toutefois, d’autres substances connaissent une montée en popularité hors normes, nourrie par les sites de vente en ligne et les réseaux sociaux, comme le CBD.

 Mon expérience personnelle avec le CBD

Souffrant moi-même de dépression sévère associée à des troubles anxieux pendant plusieurs années, j’ai dû recourir à des antidépresseurs à contrecœur. Mais les effets secondaires étaient pénibles, l’addiction forte et je ne me sentais pas vraiment mieux.

Après un sevrage difficile, je cherchais quelque chose de plus naturel pour m’aider au quotidien. On m’a conseillé à plusieurs reprises le cannabis, mais cette substance posait aussi problème : perte de mémoire, difficulté de concentration, mais aussi risque d’exacerbation du sentiment de  panique ou addiction… étudier dans ces conditions étaient difficiles. Et puis, grâce au bouche-à-oreille, j’ai entendu parler du CBD, ou cannabidiol. Le cannabidiol est, avec le THC, l’un des deux principes actifs du cannabis. Il vient imiter les endocannabinoïdes présents naturellement dans notre organisme et procure une sensation de bien-être. Ses effets sur les maladies inflammatoires chroniques sont également étudiés aujourd’hui[4].

Curieuse face à la popularité grandissante du CBD, et après avoir consulté plusieurs forums anglophones et francophones, je me suis approvisionnée au Labshop — une petite boutique aux visuels soignés en plein cœur du Marais, qui propose même des cosmétiques et de la livraison à domicile : un univers à des kilomètres des imaginaires liés à la consommation de cannabis. S’il peut être vendu aussi librement, c’est parce que le CBD est légal en France : issu du chanvre industriel il n’a pas d’effets psychoactifs. Les quantités de THC contenues dans la plante ne doivent pas dépasser 0,2% pour être conforme à la loi française[5]

J’ai commencé par des fleurs de chanvre, de la variété Afghan Kush, contenant déjà une dose de CBD assez puissante. Les fleurs peuvent se fumer ou se consommer infusées dans un lait gras, comme le lait de coco, pendant une demi-heure pour en extraire l’huile de chanvre. Habituée des antidépresseurs chimiques, j’ai été très surprise par la sensation de détente quelques minutes après l’ingestion, sans effets secondaires de type nausée. Ma clarté d’esprit était également appréciable en période de partiels. Mais la forme n’était pas pratique pour contrer des crises de panique hors de chez moi. Maintenant que je savais que j’étais réceptive, je pouvais essayer l’huile de CBD, à un prix bien plus élevé. 

Cela fait maintenant environ cinq mois que j’utilise de l’huile de CBD. Je tiens d’abord à souligner que mes impressions ne relèvent que de mon avis qui n’est pas professionnel. Utilisé quotidiennement ou ponctuellement face à une montée de panique, un flacon dure un mois ou deux. Je me sens bien mieux que lorsque j’avais recours aux antidépresseurs. Les effets de bipolarité induits par certains ISRS ne sont pas de retour. Comme le CBD n’est pas une substance récréative, je peux en prendre avant d’aller en cours et garder ma concentration, quand les antidépresseurs me rendaient assez confuses et affaiblissaient ma mémoire. Sous forme d’huile, le goût n’est pas désagréable. Le flacon est équipé d’une pipette compte-goutte pour verser deux à trois gouttes sous la langue, pour une action sublinguale, comme les granules d’homéopathie.

J’ai également pu remarquer que mes rêves étaient plus vifs lors de prise de CBD. Enfin, la sécurité du CBD m’a beaucoup plue. La violence envers soi liée aux maladies mentales est encore taboue, mais beaucoup de personnes prenant des médicaments ont déjà pensé à les utiliser pour se faire du mal. Ici, savoir que le CBD ne présentait pas de risque d’overdose, d’interaction avec l’alcool, ou d’addiction a grandement allégé ma charge mentale et normalisé mon rapport à la maladie mentale. 

Je constate une amélioration de mon état général, et une plus grande stabilité de mon humeur. D’autres amis consomment du CBD pour des douleurs chroniques ou des troubles dépressifs et nous pouvons échanger sur les effets que nous constatons. Je n’hésite pas à en recommander à mon entourage, mais en privilégiant d’abord des parcours de soin classiques et un encadrement médical. Le CBD ne peut pas se substituer à un traitement lourd et tout le monde n’est pas forcément réceptif ; il faut parfois ajuster avant de trouver le bon dosage comme pour les antidépresseurs et anxiolytiques et cela peut être frustrant.

Conclusion

A ce jour, la France ne semble pas encore disposée à faire des essais cliniques pour tester l’efficacité de la psilocybine en tant qu’antidépresseur. Néanmoins, plusieurs initiatives dans le monde donnent de l’espoir aux patients atteints de dépression résistante aux traitements classiques : la FDA américaine a décerné en 2018 et 2019 une autorisation spécifique à la psilocybine médicale, dans son cadre « Breakthrough Therapy », pour son usage dans une étude clinique de grande ampleur commandé par Compass Pathways, une société dédiée à la santé mentale[6]. Outre-Atlantique, la popularité et la normalisation du CBD peuvent faire espérer des prix moins élevés et une reconnaissance du corps médical. Les drogues récréatives ont un bel avenir dans la lutte contre la maladie mentale. 

Si vous êtes en souffrance psychologique, ne vous isolez pas, et n’hésitez pas à consulter. La plupart des établissements du supérieur disposent de structures d’aide et organisent des campagnes de prévention. Des numéros d’écoute existent également pour vous aider.

Clémentine GUIOL 

 sources : 

  •  [1] Rapport sur la santé dans le monde : La santé mentale, nouvelles conceptions, nouveaux espoirs, rapport de l’OMS, 4 octobre 2001, site OMS.
  •  [2] ‘They broke my mental shackles’: could magic mushrooms be the answer to depression? Mon 10, June 2019, The Guardian online website, in DRUGS.
  • [3] “The active substance in the mushrooms, was sufficient to lift resistant depression in all 12 volunteers for three weeks, and to keep it away in five of them for three months.”, Magic mushrooms lift severe depression in clinical trial, Sarah Boseley, May 17 2016, The Guardian Online.
  • [4] https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3232190/ 
  • [5]https://www.drogues.gouv.fr/actualites/cannabidiol-cbd-point-legislation
  • [6] COMPASS Pathways Granted Patent Covering Use of Its Psilocybin Formulation in Addressing Treatment-resistant Depression, CISION PR Newswire, Jan 13 2020. 

Un commentaire

  1. Dans l’etude originale, la psilocybine entrainait des ameliorations immediates, significatives et durables de l’anxiete et de la depression, une reduction de la detresse emotionnelle associee au cancer, une amelioration du bien-etre spirituel et une amelioration de la qualite de vie. Lors de l’evaluation finale a la fin du suivi de 6,5 mois, la psilocybine restait associee a des effets anxiolytiques et antidepresseurs durables. Environ 60 a 80% des participants avaient continue a signaler une reduction de leurs symptomes et une amelioration de leur qualite de vie.

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