Socrate pensait, d’après le Phèdre de Platon, que l’écriture était la fin de la mémoire, la mort de la pensée voire même de la parole : « La plus grande sauvegarde pour la pensée, c’est de ne pas écrire ». Cet exemple est fréquemment utilisé lorsqu’un nouveau média émerge : la radio signe la mort de la presse papier, la télévision va remplacer la radio et plus récemment, internet éteindra bientôt la télévision. C’est pourtant faux, les médias se réinventent sans cesse, ils ne disparaissent pas. Ils s’adaptent et développent de nouvelles formes qui leur permettent de continuer d’exister et d’intéresser. Alors pourquoi la tendance populaire cherche-t-elle à enterrer le « petit écran » ? Comment ce dernier tente-t-il de réagir face à cette obsolescence programmée ?
De Socrate à internet : histoire et théorie des nouveaux médias
Pierre Moeglin, expert médiatique, explique que la philosophie de Socrate sur l’écriture a été mal interprétée. Il théorise un concept, en 2005, dans Outils et médias éducatifs. Une approche communicationnelle. Pour lui, le philosophe antique n’exprimait pas un rejet de l’écriture mais une méfiance face à l’apparition d’une nouvelle forme de médiation. Autrement dit, c’est la peur que l’écriture rende obsolète la mémoire. Pourtant, au niveau théorique, l’écrit emploie des mots tout comme la parole. La différence se voit en termes de support : dans le premier cas on utilise sa voix, dans le second on utilise quelque chose de matériel, du papier, un mur… Pour comprendre l’opposition entre télévision et internet il faut revenir 100 ans en arrière et se pencher sur l’histoire des médias. Lorsque la télévision se démocratise dans les années 1930, on parle déjà de « mort programmée de la radio ». Le support technologique est révolutionnaire, le téléspectateur surpasse l’auditeur, et en plus du son, il possède une image, il n’est plus seulement question d’entendre mais de voir. On pense alors que la télévision va remplacer la radio.
C’est là qu’intervient Socrate, la télévision utilise une médiation similaire à la radio. Au même titre que l’écriture découle de la parole, la télévision reproduit les codes imposés par son prédécesseur. Bien qu’elle apporte une image, le contenu proposé n’est en rien révolutionnaire. Les émissions diffusées existent depuis bien longtemps. En effet, la radio émettait déjà, en 1921, des journaux d’actualité destinés au public. Par ailleurs, les spectacles musicaux sont enregistrés et écoutés bien avant leurs apparitions à la télévision. Pour la première fois, un concert public est retransmis en 1921. Le 20h de TF1 et The Voice ne font donc que reprendre des concepts vieux de 100 ans.
Bien qu’elle se soit imposée dans tous les foyers de cette époque, ce n’est pas pour autant que les gens n’écoutent plus la radio. Elle influence énormément la télévision dans le contenu proposé. En 2017, pour les 30 ans de France Info, Aude Dassonville, chroniqueuse chez Télérama, titre : « France Info a 30 ans, et la télé n’a pas éteint la radio ». Comme pour Socrate, il faut savoir faire la différence entre le média et le support. Ce n’est pas l’audience qui change mais la manière de consommer le contenu.
Le cross-média, ou comment la télévision cherche à s’imposer sur internet
Revenons donc au XXIème siècle, où le monde médiatique pense qu’internet va remplacer la télévision. D’après une étude média métrique du CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel), les années 2010 ont permis de confirmer une tendance : les gens regardent de moins en moins la télévision. L’audience se tourne vers les smartphones, les ordinateurs et les tablettes. On peut lire, avec l’arrivée d’internet et des plateformes numériques, que Netflix, Youtube et les réseaux sociaux développent progressivement l’obsolescence du « petit écran ». La réalité est pourtant plus compliquée que cela. Face à l’inversion de l’intérêt médiatique, les programmes télévisés s’adaptent et proposent un contenu tourné vers les nouveaux médias.
Avant de continuer, il faut tout d’abord parler de la « cross-médiation ». Alexander Kondratov, chercheur en information et communication, définit ce concept en 2013 dans Communication-multimédia : « Le cross-média est le principe de la coopération entre médias. L’enjeu et l’intérêt des stratégies cross-média est de faire naître de ses interactions, des synergies. ». En d’autres termes, les médias interagissent entre eux, s’influencent et partagent un contenu entre les différentes plateformes.
Ce point permet de montrer en quoi la télévision ne disparaît pas, elle se transforme. Pour continuer d’intéresser elle doit se tourner vers le cross-média. Les groupes télévisuels l’ont bien compris avec l’émergence, en 1996, de MyTF1 et plus tard de France.TV. Internet existe à peine et l’on peut déjà regarder une émission sur un autre support que sa télévision. Aujourd’hui, que cela soit sur son smartphone, sa tablette ou son ordinateur, le spectateur peut suivre n’importe quelle chaîne de télévision en direct et en replay. Tout le contenu proposé est entièrement disponible sur internet. Un média reste un média, quel que soit son format. Comme disait Lavoisier : « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ».
Like, hashtag et communauté : les infinies possibilités d’internet
Les audiences du direct baissent mais la télévision s’est exportée en partie sur la toile. Les réseaux sociaux permettent aux spectateurs de réagir au contenu diffusé, de liker une vidéo, de commenter une émission grâce à la démocratisation des #hashtag. Le principe du cross média va plus loin avec le web puisqu’un spectateur peut dialoguer avec un autre sur un sujet commun. La télévision s’impose sur la toile et on voit émerger une nouvelle forme de partage : les communautés. Les gens se réunissent autour d’un même sujet, d’une même émission ou d’une série. La télévision a donc su utiliser internet pour ne pas disparaître. Elle se réinvente sans cesse, s’adapte et développe de nouvelles formes qui lui permettent de continuer d’exister et d’intéresser. Le nouveau média n’a pas programmé l’obsolescence de la télévision. Son apparition a surtout permis de challenger l’ancien, de le pousser à innover.
Ainsi internet permet de développer une infinité de possibilités, de dépasser la conception que l’on avait de la médiation et de permettre quelque chose jamais vu auparavant : une interaction constante entre le média et la personne mais aussi entre les personnes elles-mêmes. Aujourd’hui la radio s’écoute aussi bien sur internet qu’à la télévision, les gens lisent la presse sur leurs smartphones et regardent les JT sur leurs ordinateurs. Un nouveau média ne signifie pas la mort de son prédécesseur mais simplement un moyen différent de le consommer.
Guillaume JAROUSSEAU
illustration : Raphaëlle DREYFUS
sources :
– SOURCES WEB :
- https://docplayer.fr/17291683-Communication-multimedia.html
- https://www.csa.fr/Cles-de-l-audiovisuel/Pratiquer/Les-medias-audiovisuels-et-vous/Comment-les-francais-regardent-ils-la-television
- https://www.universalis.fr/encyclopedie/phedre-platon/2-critique-de-l-ecriture-et-enseignement-oral/
- https://www.telerama.fr/radio/france-info-a-30-ans-et-la-tele-n-a-pas-eteint-la-radio,158353.php
- https://telesatmedias.com/histoire-de-la-radio-television-en-france/
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Radio_en_France
- https://www.histoire-pour-tous.fr/inventions/744-invention-de-la-television.html
- https://www.internetsociety.org/fr/internet/history-internet/brief-history-internet/
– SOURCE PAPIER :
Outils et médias éducatifs. Une approche communicationnelle de Pierre Moeglin