Pour ces jeunes comédiens et metteurs en scène, l’apogée de leur carrière, pensaient-ils, serait de jouer à guichet fermé ; les voilà qui jouent dans un théâtre fermé. Nombreux sont ces talents en herbe qui tentent, malgré les mesures sanitaires, de se perfectionner dans leur art, de redoubler de créativité pour, un jour, pouvoir retrouver leur public au théâtre. Pour cela, je vous propose, chers lecteurs, de partir à la rencontre de la Compagnie des Coureurs de Jardins. Cette jeune troupe parisienne de comédiens professionnels, dirigée par Diane Lotus, a accepté de lever le rideau sur la préparation d’une réadaptation du célèbre vaudeville de Sacha Guitry, La Femme, le Mari et l’Amant.
“Au théâtre, il n’y a rien à comprendre mais tout à sentir.” – Louis JOUVET
Le théâtre fait corps. Et pour cause, tenant son étymon du nom grec drama, la dramaturgie renvoie en premier lieu à l’action et non au dialogue qui sera introduit plus tardivement sur scène, grâce au deutéragonisme eschylien. Toutefois, comment répéter les interactions corporelles entre les personnages à l’heure où la distanciation sociale se trouve prônée de toute part ? Un vaudeville n’en est plus un si l’amant ne peut échanger ne serait-ce qu’une caresse ou un baiser avec celle qu’il convoite. Il convient donc à nos jeunes comédiens ainsi qu’à leur metteure en scène de redoubler d’ingénuité scénographique. Jeux de regards, chorégraphies dans le déplacement de chaque personnage deviennent ainsi les seuls recours corporels afin de restituer la sensibilité et la sensualité insinuées par les didascalies de Sacha Guitry. Les conditions sanitaires invitent donc nos jeunes artistes à repenser les codes scénographiques du théâtre, à révolutionner le jeu dramatique en préservant sa dimension sensible tout en suivant les consignes gouvernementales.
“Le théâtre, c’est la poésie qui sort du livre pour aller dans la rue.” – Frederico GARCIA LORCA
La notion de rencontre est centrale au théâtre : rencontre entre les personnages tissant les prémisses de la fable, rencontre entre les artistes et leur public pour faire émerger une pluralité d’univers imaginaires découlant de l’intrigue dramatique. Pour les jeunes comédiens, cette rencontre est parfois la première de leur carrière. Le théâtre est donc un fait social qui permet à ces derniers de se construire en tant qu’artistes, mais également de mûrir en tant qu’individus. Privé de son public, le théâtre n’est plus qu’une simple poésie actée sur le papier. Le défi des jeunes compagnies en 2020 a donc été d’aller à la rencontre des spectateurs par diverses stratégies communicationnelles. Bénéficiant d’une meilleure visibilité sur les réseaux sociaux, elles ont appris à aborder leur public par une mise en scène numérique de leur travail, sans pour autant avoir besoin de recourir aux captations vidéos de leur spectacle.
“Les gens veulent trouver au théâtre quelque chose de meilleur que la vie.” – Peter BROOK
Qui d’autre que Jacques Rancière pour démontrer que le spectacle permet au spectateur de créer de nouveaux horizons oniriques, sociaux ou politiques. Le théâtre se trouve être un lieu de partage du sensible entre comédiens et public. L’esthétique de l’un nourrit l’imaginaire de l’autre, et inversement. En ces temps de pandémies, les jeunes compagnies de théâtre tendent à repenser ce concept de partage du sensible, au sein de nouveaux dispositifs scénographiques et avec un public réduit, ce qui limite l’intersubjectivité créatrice entre scène et salle. Le théâtre comme lieu d’évasion, lieu pour repenser le monde, le modeler à nos envies. Lieu des possibles par excellence. Il incombe alors aux nouvelles générations de comédiens de revêtir les masques de la comédie, de s’en accommoder, d’en jouer afin de faire émerger de nouveaux personnages archétypaux sur scène, et peut-être même de renouer avec le tragédie antique du théâtre masqué. La créativité de ces graines d’artistes compte bien être au rendez-vous en 2021, non seulement pour vous accueillir avec de nouvelles programmations, mais aussi pour renouveler la scénographie théâtrale et ses codes.
Tiffany ALLARD
Couverture : © Olivia Dujardin & Marthe Lepori