En France, le début de l’année 2020 a été marqué par la publication du roman de Vanessa Springora, Le Consentement, qui a déclenché un scandale national. L’auteure délivre sa version de l’emprise que l’écrivain de renom, Gabriel Matzneff, alors âgé d’une cinquantaine d’années, avait sur elle quand elle n’avait que 13 ans. Attirée par le milieu littéraire et fille d’une attachée de presse dans l’édition, Vanessa Springora rencontre Gabriel Matzneff lors d’un dîner mondain. Elle est bouleversée par les regards qu’il porte sur elle et est séduite par son aura d’auteur. Après des échanges épistolaires, cette adolescente tombe totalement sous le charme : son monde ne tourne, à présent, qu’autour de Gabriel Matzneff. Sans s’en rendre compte, elle devient la proie d’un pédophile protégé par sa notoriété et son statut d’artiste.
C’est avec un recul lucide que Vanessa Springora nous livre cette partie sombre de sa vie. Elle insiste bien sur le fait qu’elle ne révèle rien et c’est bien la problématique centrale de ce livre : tout le monde savait. Durant la lecture, nous assistons à de nombreuses discussions entre l’adolescente et des adultes — le philosophe Emil Cioran, un médecin ou encore sa mère — cette relation semble ainsi ne choquer personne. L’idée que l’entourage de cette jeune fille ait pu accepter la relation qu’elle entretenait avec un homme de cinquante ans est profondément choquante pour les lecteurs de notre époque. Dans de nombreuses interviews, Vanessa Springora met en lumière l’importance du mouvement #MeToo, en 2017, et de la libération de la parole qui s’en est suivie. Grâce à ces événements, elle a pu se libérer à son tour et nous délivrer ce récit bouleversant. L’auteure met en valeur la puissance de l’écriture : par le biais de son témoignage , en décrivant sa version des faits, elle se réapproprie sa propre histoire. Elle écrit : “C’est l’homme que j’aime qui m’en a finalement convaincue. Parce qu’écrire, c’était redevenir le sujet de ma propre histoire. Une histoire qui m’avait été confisquée depuis trop longtemps.”
Au-delà de la libérer de ses vieux démons, écrire ce livre a permis à Vanessa Springora de prendre Matzneff à son propre jeu : “Depuis tant d’années, je tourne en rond dans ma cage, mes rêves sont peuplés de meurtre et de vengeance. Jusqu’au jour où la solution se présente enfin, là, sous mes yeux, comme une évidence : prendre le chasseur à son propre piège, l’enfermer dans un livre.” En effet, l’œuvre de Matzneff est partiellement inspirée de ses relations avec des adolescents ou des enfants. Il écrivait sur ses voyages à Manille, “en quête de cul frais”. Dans son ouvrage, Les moins de seize ans, publié en 1994 et récompensé par un Prix Renaudot en 2013, il est clairement question d’une apologie glaçante de la pédophilie, argumentée et détaillée par ses propres expériences. Matzneff avait d’ailleurs interdit à Springora, lorsqu’elle était adolescente, de lire ses publications. Elle a fini par les lire et comprendre qu’elle était devenue l’instrument et l’objet des fictions de l’homme dont elle était amoureuse. Elle écrit : “Je me surprends maintenant à le haïr de m’enfermer dans cette fiction perpétuellement en train de s’écrire, livre après livre, et à travers laquelle il se donnera toujours le beau rôle ; un fantasme entièrement verrouillé par son ego, et qui sera bientôt porté sur la place publique. Je ne supporte plus qu’il ait fait de la dissimulation et du mensonge une religion, de son travail d’écrivain un alibi par lequel justifier son addiction.”
Un an plus tard, Camille Kouchner écrit La Familia Grande, publié en janvier 2021, où elle raconte les agressions sexuelles qu’a subi son frère jumeau par son beau-père, Olivier Duhamel, politiste et sociologue français reconnu. Ce livre a aussi provoqué un scandale national qui ébranle le haute sphère intellectuelle : nous assistons à une rupture de l’omerta.
Lou ATTARD
Couverture : © Le Consentement – Vanessa Springora – Grasset – 2020 – 18€
Sources:
Un récit coup de poing qui a prouvé que le pouvoir des mots pouvait être très fort ?