Depuis le 15 février, huit films de Claude Chabrol ont rejoint le catalogue de la plateforme de streaming Netflix. Le réalisateur rejoint ainsi ses amis de la Nouvelle Vague — François Truffaut, Alain Resnais et d’autres pontes du cinéma d’art et essai comme David Lynch. Ces œuvres doivent venir enrichir l’offre du géant du numérique, lui donnant par la même occasion une image de connaisseur auprès des cinéphiles, généralement réticents à l’idée de quitter la salle de cinéma.
Netflix : bête noire du milieu cinématographique ?
Quel endroit plus prestigieux pour les cinéphiles que les marches du Festival de Cannes ? Sur la croisette, le septième art est mis à l’honneur chaque printemps.Toutefois, Netflix s’en trouve banni. Malgré l’émergence de la plateforme, le festival ne l’accepte toujours pas.
La raison du contentieux est simple, il s’agit de la « chronologie des médias ». Le principe est le suivant : plus un média audiovisuel investit dans le cinéma, plus tôt il pourra diffuser des long-métrages après leur sortie en salle. Concrètement, Canal +, qui consacre au septième art 12,5% de son chiffre d’affaires annuel, peut diffuser des films huit mois après leur sortie tandis que Netflix doit attendre près de trois ans. La plateforme est ainsi dénoncée par les professionnels car elle ne participe que très peu au financement du cinéma mais gagne de plus en plus de parts de marché.
Changer d’image pour convaincre
L’entreprise Netflix, fondée en 1997, entend pourtant bouleverser cette « chronologie des médias » et diffuser des œuvres en lieu et place des salles obscures. Pour convaincre le milieu de sa bonne volonté, Netflix a dû employer de grands moyens. Le rachat des classiques du cinéma fait partie du processus. L’idée est de faire de son catalogue une bibliothèque des grands films afin de montrer son respect des aînés.
Autre stratégie adoptée par le géant américain : se poser en nouvel el Dorado des réalisateurs. Il promet ainsi aux jeunes auteurs une indépendance totale dans leurs choix artistiques. En 2019 par exemple, le maître Martin Scorsese a été débauché pour montrer la voie, affichant partout sa liberté de créer. Néanmoins, le résultat fut mitigé à la sortie de The Irishman. Le réalisateur new-yorkais endossant aussi la casquette de producteur, de nombreux critiques ont pointé du doigt un manque de cohérence artistique, imputé à sa trop grande liberté. Les producteurs, peu présents dans les films Netflix, ont un rôle primordial dans le processus d’écriture, notamment pour rendre une œuvre lisible par le grand public.
La mort annoncée de la salle de cinéma ?
Malgré les critiques, les cinéastes se ruent vers le streaming. Beaucoup de professionnels ont trouvé à travers les plateformes une alternative à la fermeture des salles suite à la crise du Covid-19. Les partenariats entre les distributeurs de films et Netflix se sont alors multipliés, laissant entrevoir le début de la fin pour les grands écrans, selon une partie de la presse spécialisée.
En ce mois de mars, une nouvelle chronologie des médias devrait être présentée. Il est certain que Netflix pèsera lourd dans les négociations, fort de ses sept millions d’abonnés. Avec sa nouvelle image de cinéphile, la plateforme compte gagner des droits de diffusions plus rapides, avec pour objectif final de se substituer aux salles. Cependant, une donnée n’est pas négligeable pour les professionnels : aucune plateforme ne permet actuellement d’engendrer autant d’argent que les salles de cinéma. Les sièges rouges n’ont donc pas dit leur dernier mot.
Armand MOREIRA
Couverture : Illustration de Mélina PHUNG