De nos jours, pour voyager à l’autre bout du monde et s’imprégner d’une culture, il suffit de dégainer son smartphone, d’allumer la télévision ou directement de prendre la voiture, l’avion ou le bateau. Si ces facilités de déplacements et d’accès à l’information nous paraissent anodines, elles restent un luxe dont ne bénéficiaient pas toujours nos ancêtres. Pour pouvoir ressentir l’exaltation du voyage, ceux-ci n’avaient accès qu’à des moyens indirects, tels que la lecture de bestiaires.
Voyage par intérimaire
Durant l’Antiquité et le Moyen-Âge, peu de personnes avaient la possibilité de voyager. Les paysans restaient à leurs champs, qui les occupaient toute l’année, et les nobles restaient à leurs palais et châteaux, où ils s’affairaient à gouverner leurs domaines. Seuls quelques individus — principalement des marchands itinérants, des messagers, des émissaires ou des ambassadeurs — avaient la possibilité d’arpenter de grands territoires et d’aller voir ce qu’il se passait « ailleurs » afin d’en partager les récits. Lorsqu’un voyageur revenait d’expédition en terre étrangère, il en rapportait des histoires, des objets, des plantes ou encore… des descriptions d’animaux.
En effet, présenter la faune d’une région permet d’en planter le décor, de restaurer le cadre du voyage entrepris. Lorsque nous entendons parler des bavardages des perroquets, de la danse claudicante des manchots ou des bains de boue des hippopotames, nous sommes immédiatement transportés dans les jungles d’Amazonie, dans la froide banquise de l’Arctique ou dans les fleuves et rivières de la savane africaine.
Qu’est-ce qu’un bestiaire ?
En Europe et dès le IIe siècle, ces récits ont été compilés dans des recueils écrits, appelés bestiaires, qui ont par la suite été recopiés de nombreuses fois avant d’être dispersés, au fil du temps et à travers le monde. Les bestiaires les plus connus sont à l’origine grecs, tel que le Physiologus, surnommé « le bestiaire des bestiaires », ou latins, comme certains livres de l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien. Ils ont ensuite été traduits dans de très nombreuses langues du bassin méditerranée – et même au-delà. Toutefois, c’est dans l’Europe médiévale, plus précisément entre les XIIème et XIIIème siècles en France et en Angleterre, que ces manuscrits ont obtenu leurs lettres de noblesse.
La plupart du temps, ces bestiaires étaient séquencés en chapitres, chacun associé à un animal dont le nom faisait office de titre. Ces chapitres pouvaient se succéder arbitrairement ou bien être dressés selon une thématique précise. Par exemple, au Moyen-Âge les animaux étaient classés en cinq catégories : les oiseaux, comme le phénix ou la colombe, les quadrupèdes, comme les lions ou les licornes, les poissons, à l’instar des baleines, des dauphins et des sirènes, les serpents, incluant les dragons, ainsi que les rampants, à savoir les vers, les insectes, les mollusques et même les petits rongeurs. Mais il existe d’autres types de classification, notamment par zone géographique.
Après le titre s’ensuivait une description physique de la créature, afin que le lecteur puisse l’identifier – ou, du moins, se la figurer – ainsi qu’une présentation de ses comportements et attitudes remarquables. Quelques fois encore on pouvait y lire diverses anecdotes ou légendes attribuées à l’animal, que l’auteur du bestiaire compilait d’après les témoignages d’explorateurs, ou bien directement auprès des populations locales. Pour finir, lorsque l’on était chanceux, on pouvait espérer voir s’esquisser sur l’une des pages une représentation iconographique de l’animal, réalisée par les moines-copistes selon les descriptions qu’on leur fournissait.
Si les bestiaires et les descriptions d’animaux de manière générale sont des outils très intéressants pour décrire un endroit, il faut néanmoins conserver un certain esprit critique. Bien souvent, ces bestiaires regroupaient les témoignages d’une multitude de sources, recueillis par une ou plusieurs personnes. Par conséquent, l’auteur d’un bestiaire ne pouvait, à lui seul, faire la différence entre un animal réel, observé, étudié et une créature fantaisiste affabulée ou déformée par une population majoritairement superstitieuse et peu instruite. En résumé, il convient de garder à l’esprit qu’aux côtés des hyènes, perdrix ou maquereaux bien réels peuvent se dresser des onocentaures, sciapodes ou phénix pluricentenaires dont l’existence est autant admise que celle du quatrième volet de la saga Indiana Jones.
A.J.E.LLANOS
Couverture : Bestiaire, 1502,Die Heiligen reysen gein Jherusalem zu dem heiligen grabBernhard von Breydenbach (1454-1497) – ©Omega *
Sources :