Une petite pièce pour de grands défis : « Coût de cœur » de la troupe des Murmures de l’Agora

Accepte de ne pas comprendre ton histoire, parce que tu n’en as pas ! Et il nous en faut bien une ! s’exclame Quartaine en s’approchant de son amant Ségon, le personnage principal de cette histoire. Il est vrai que nous, spectateurs, comme Ségon, nous sommes un peu perdus. Que se passe-t-il sur ces planches ? Le rideau s’ouvre, une discussion énigmatique, une vente aux esclaves, un jeune homme acheté pour devenir le fils d’une jeune femme aveugle qui l’aime immédiatement. Puis des mois passent, les personnages se retrouvent, s’aiment, disparaissent, sous le regard d’un homme qui n’a pas de nom et qui semble tout savoir. On fronce les sourcils, mais finalement, à notre plus grand étonnement, ça marche. On suit ces personnages qui nous emportent entre chants et danses. On rit aussi. On se perd avec eux dans cette histoire qui ne paraît pas avoir de sens et qui met à bat tous les clichés : le brave amoureux n’est qu’un imbécile qui n’a rien compris, la jeune fille en détresse est bien plus forte qu’il n’y paraît. Ici, on aime non pas de l’amour inconditionnel des grands romantiques mais d’un amour bien plus réaliste : on aime pour remercier, on aime car on ressent le besoin d’aimer, le reste n’est que manière de présenter les choses.

Une belle représentation de la figure du dramaturge

Ce qui rend cette pièce unique outre son thème et sa manière de l’aborder, c’est la représentation de la figure du dramaturge qui plane sur ces planches. Un personnage étrange tapi dans l’ombre guide les actions des personnages. « Je suis ton destin et je ne punis que les plus terribles » leur répond-il à chaque fois qu’ils le questionnent.

Plus étonnant encore, passé le premier acte, ce IL leur donne une plume. C’est donc aux personnages d’écrire leur propre histoire. N’est-ce pas la meilleure façon de représenter la figure de l’auteur qui se voit dépassé par ce qu’il a créé, ces caractères trop forts, trop profonds, qui deviennent indépendants de lui ? À partir de là, les actions se font plus rapides, moins calculées, enivrantes aussi par leur spontanéité. Mais il est un moment où les nœuds se font et rien ne se règle. Comment arriver au bout ? Comment s’en sortir ? On craint que la pièce ne puisse trouver un dénouement. La crainte ne persiste pas et ne permet pas l’ennui. IL revient et reprend les rênes. N’est-ce pas également ce que doit faire tout écrivain ? À un moment, accepter d’arrêter de voir ses personnages vivre libres pour enfin refermer l’ouvrage ?

Une première pièce dans un petit théâtre pour de grands défis

On n’est pas surpris en sortant du théâtre de découvrir que ce IL est bel et bien l’auteur et le co-metteur en scène de la pièce. La façon dont il nous explique l’écriture de Coût de cœur reflète bien ce que l’on a vu sur les planches. « J’avais déjà écrit quelques petites scènes pour l’école, mais là c’est mon premier vrai projet. J’ai commencé comme ça, trois ou quatre pages comme ça me venait, puis je me suis rendu compte que ça pourrait faire une histoire », explique Pierre Colleau. Une toute première pièce donc pour cette jeune troupe formée au Centre des arts de la scène et ayant pris pour nom “Les Murmures de l’Agora”.

Une des performances les plus remarquables est celle de Marine Chabaud dans le rôle de Tierza, une femme aveugle à la recherche d’un fils à aimer. Au bout de quelques minutes, on finit par se demander si cette jeune actrice est bel et bien aveugle tant son regard est figé. Au sortir du théâtre, on découvre que ce n’est pas le cas. « J’ai commencé par lever les yeux au ciel, mais je ne voulais pas que cela fasse trop cliché. Je voulais que ce soient les situations qui portent au rire plutôt que mes expressions de visage. J’ai alors tenté de fixer mon regard comme ça peut nous arriver quand on lit un livre. Sur scène, c’est très compliqué car je ne vois rien ! Cela demande beaucoup d’écoute des autres. Au début j’en avais mal à la tête », raconte-t-elle.

Pour Pierre Colleau le défi était autre : « C’est très compliqué de jouer et de se mettre en scène. J’aurais bien voulu être dirigé. Après j’ai réussi à me former grâce aux remarques des autres. Tout ça a pu être possible grâce au projet collectif. Si vous regardez l’affiche, il n’est pas marqué : une création de Pierre Colleau mais une création de la troupe. »

Une troupe qui a su se former et s’aider pour nous livrer ce très beau premier spectacle et qui, on l’espère, ne s’arrêtera pas là. Mais en attendant, retrouvez les merveilleux acteurs de la troupe des Murmures de l’Agora dans Coût de Cœur au Théâtre Darius Milhaud tous les jeudis jusqu’au 31 mars 2022.

Enora ABRY

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