Nombreuses sont les opérations de levée de tabou, d’encouragement à la prise de parole, de révélation publique de sujets longtemps passés sous silence. En témoignent le mouvement #MeToo sur les violences sexistes, le rapport Sauvé sur la pédophilie au sein de l’Eglise, la dénonciation des agresseurs dans les médias ou les révélations intrafamiliales, telles que celles incestueuses dans La Familia grande de Camille Kouchner. Si l’on parle d’omerta brisée, dans ces cas de figure, c’est qu’un silence est au préalable imposé au sein d’une communauté réduite, où tout se sait et rien ne se dit. Retournons sur les origines du terme…
L’Omerta, à l’origine
Omerta, titre d’une série télévisée, d’un film, d’un roman, d’un jeu de gangster… tous renvoient au système mafieux. En effet, s’il est aujourd’hui appliqué à de nombreux sujets, le terme « omerta » a une origine bien spécifique. Tantôt associé au dialecte sicilien, tantôt à la langue napolitaine. Contraction d’«omo» (homme) et «umirtà» (humilité) ou déformation de «società dell’umiltà» («société de l’humilité», dénomination de la Camorra, la mafia de Naples); ce terme provient du système de la criminalité organisée.
«Société de l’humilité» pour une bonne raison: les affiliés mafieux doivent se soumettre à un chef, et à des lois. Et dans cette société, le silence devient le maître-mot. L’omerta, ou la loi du silence, permet de ne pas dévoiler l’identité de l’auteur d’un délit pour deux raisons : le protéger des sanctions de l’État et le délivrer exclusivement à celui qui voudra se venger – la victime du délit. L’omerta ne signifie donc pas une protection aveugle, mais la mise en avant d’une justice non régie par les lois, d’une justice «juste», entre l’offenseur et l’offensé.
Une loi à ne pas transgresser…
Déroger à la règle du silence est passible de mort. Et cette loi est respectée, car pour tout mafieux, briser l’omerta signifierait devoir basculer au sein d’un autre groupe. Or, tout clan mafieux est capable de faire de même. S’il peut y avoir de l’omerta sans mafia, la mafia ne peut exister sans l’omerta. L’objectif a cependant évolué : ce n’est plus celui de délivrer l’auteur du délit à sa victime, mais de passer sous silence tout fait plus ou moins relié à la criminalité, de ne pas mettre des noms sur des actes, de ne rien commenter.
Tout un chacun, habitant dans les régions les plus touchées par la criminalité organisée, a l’habitude de se taire, ou de dénoncer sans nommer, mais certains journalistes, politiques ou magistrats ont porté haut et fort leurs voix. La victime la plus connue pour avoir bafoué l’omerta est le juge Giovanni Falcone. Engagé dans la lutte antimafia, il a été assassiné sur ordre de Toto Riina, le chef du clan des Corleonesi, un nom qui vous rappellera sûrement celui du protagoniste du Parrain… En effet, ce clan a fait partie de Cosa nostra, la mafia sicilienne. Assassiné deux mois plus tard, le juge antimafia Paolo Borsellino a été visé par le même commanditaire.
Aujourd’hui, une subsistance du silence
Si ces assassinats sont survenus en 1992, la situation ne s’est pas tarie pour autant. Daphne Caruana Galizia, une journaliste et blogueuse maltaise d’investigation enquêtant sur la corruption, a été assassinée le 16 octobre 2017. Ján Kuciak, quant à lui, a été assassiné le 21 février 2018 alors même qu’il enquêtait sur les investissements d’hommes politiques italiens en Europe de l’Est, ainsi que leurs relations avec des organisations mafieuses. Un rapport datant de 2017 indique que pas moins de 196 journalistes vivent sous protection policière; parmi eux Federica Angeli, Lirio Abbat, et l’auteur de l’œuvre Gomorra, Roberto Saviano.
En France, on parle aussi de brisure d’omerta avec certains journalistes, tel que Vincent Jauvert, journaliste à l’Obs, qui a publié en novembre dernier au Seuil La Mafia d’Etat. Récemment, c’est Ophélie Meunier dans le cadre d’un numéro de «Zone Interdite» consacré à l’Islam Radical sur M6 qui a été immédiatement placée sous protection policière. Le combat des journalistes contre la loi du silence imposée autour de leurs sujets d’investigation continue, mais son importance se fait entendre. Notamment, à travers l’attribution du dernier prix Nobel de la paix à deux journalistes, Dmitri Mouratov et Maria Ressa, ou encore via les vagues de soutien à Olivier Dubois, otage des djihadistes depuis dix mois au Mali, seul otage français dans le monde, ayant pour profession, bien sûr, journaliste.
Gaëlle Fonseca
Sources :
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