« En composant un morceau qui ne contiendrait aucun son, je craignais de donner l’impression de faire une blague, voyez-vous. En fait, j’ai travaillé plus longtemps à mon morceau “silencieux” qu’à aucun autre. J’y ai travaillé quatre ans… »
C’est avec ces mots de John Cage à propos de son célèbre morceau “4 minutes 33” qu’Alma Mater vous propose de découvrir l’histoire de cette œuvre intrigante. Silence complet ? Pas si sûr…
Des origines de « 4 minutes 33″…
John Cage est un compositeur de musique contemporaine qui a marqué le vingtième siècle par ses expérimentations sur le silence, le bruit, accidentel ou non, dans la musique. “4 minutes 33” est sans doute son morceau le plus représentatif à cet égard.
Il compose cette pièce après avoir visité la chambre insonorisée de l’université de Harvard en 1951. Alors qu’il s’attend à trouver le silence complet, il est surpris de constater que ce n’est pas du tout le cas. Il revient sur ce moment un peu plus tard : « J’entendis deux bruits, un aigu et un grave. Quand j’en ai discuté avec l’ingénieur responsable, il m’informa que le son aigu était celui de l’activité de mon système nerveux et que le grave était le sang qui circulait dans mon corps. »
Le compositeur prend conscience de l’impossibilité d’atteindre le silence total. C’est pour pousser cette réflexion qu’il se lance alors dans l’écriture d’une morceau uniquement composé de silence. 4 minutes 33 voit le jour en 1952, avec sa toute première interprétation en concert. C’est le pianiste David Tudor qui le dévoile au public à l’occasion d’un récital de musique contemporaine, le 29 août à New-York. Les spectateurs, ébahis, voient le musicien s’asseoir au piano, soulever le couvercle de l’instrument et garder les mains en suspens au-dessus, sans jamais atteindre les touches, puis partir au bout de quatre minutes et trente-trois secondes. C’est la durée de cette première interprétation qui donne son nom définitif à l’œuvre, même si Cage précise bien que l’interprète est libre de faire durer le morceau plus longtemps s’il le souhaite.
4 minutes 33 de silence : ça donne quoi sur partition?
A première vue, le morceau peut paraître rudimentaire, mais il est en réalité extrêmement structuré. La pièce est constituée de trois mouvements, délimités à la seconde près. Le premier dure trente secondes, le deuxième 2 minutes 22, et le troisième 1 minute 39. Si cette tripartition est de l’ordre de l’imperceptible à la simple écoute, elle est davantage visible en regardant un musicien interpréter le morceau (comme ici). En effet, dans la lignée de David Tudor, de nombreux musiciens ont choisi de fermer et d’ouvrir le couvercle du piano pour marquer le début et la fin de chaque mouvement.
Au-delà de ces indications structurelles, la partition est vide à l’exception de l’expression « tacet » au début de chaque mouvement, qui est d’usage en musique pour dire qu’un musicien doit rester silencieux pour l’intégralité du mouvement. Elle est cependant plus rarement utilisée pour désigner le soliste !
Silence absolu ?
Cage n’était pas le seul à explorer la possibilité du vide comme fondement d’une œuvre d’art. Quelques années avant lui, des peintres avant-gardistes comme Robert Rauschenberg, s’étaient lancés dans la création de peintures entièrement blanches. L’intérêt ? Montrer qu’il ne pouvait y avoir de blanc absolu car la toile prenait des nuances différentes selon la luminosité ou le jeu des ombres des spectateurs. De même en musique, Cage souhaite montrer que le silence absolu – l’équivalent du « blanc » en peinture – est impossible à atteindre.
En tendant l’oreille pour entendre la musique, qui ne vient pas, le spectateur se rend compte que le bruit est présent partout autour de lui. Ce sont alors les bruits parasites, imperceptibles, involontaires, qui font la partition même du morceau. Ainsi, à chaque nouvelle interprétation de 4 minutes 33 c’est une nouvelle séquence sonore aléatoire qui voit le jour, faite des bruits propres à l’environnement particulier. En cela, c’est l’essence même de la musique qui en vient à être remise en question. Les notes et la musique figée sur partition n’ont plus lieu d’être, tout se joue dans l’imprévisible et l’aléatoire.
Si vous êtes intéressé par cette expérimentation, sachez que John Cage a pris le soin de préciser sur la partition de piano : « L’œuvre peut cependant être exécutée par n’importe quel instrumentiste ou combinaison d’instrumentistes et sur n’importe quelle durée. » Alors, n’attendez plus, à vos instruments !
Marjolaine Milon
Sources :
Images :
- Couverture : ©Steve Rhodes, 4′ 33 » by John Cage, 2008, Flickr, CC BY-NC-ND 2.0
- Article : Domaine Public