Un témoignage du XXe siècle, dans son obscurité et sa lumière
Sorti en salle le 12 octobre 2022, le film Simone, le voyage du siècle transcrit l’histoire d’une femme, Simone Veil, et de sa famille à travers un siècle bouleversé par les conflits physiques et moraux, au sommet desquels culmine la Shoah, la tentative d’extermination de tout un peuple.
Réalisé par Olivier Dahan, le personnage de Simone Veil est mis en lumière dans ce film et interprété par les actrices Rebecca Marder et Elsa Zylberstein. Nous y sommes directement plongés, sous un angle personnel et intime. La lutte qu’a mené Simone Veil à travers sa vie est montrée d’un point de vue chronologique, de sorte que le spectateur puisse prendre conscience du lien entre les revendications de cette femme, toutes reliées par le fil rouge de son vécu et de son expérience.
Au commencement, une survivante
Simone Veil a survécu aux camps de concentration du temps de l’Allemagne nazie. D’abord internée à Drancy, elle est déportée au camp d’Auschwitz-Birkenau, où elle reste d’avril à juillet 1944. Elle est ensuite déplacée au camp de Bobrek de juillet 1944 à janvier 1945. La « marche de la mort » en direction d’Auschwitz marque le point d’acmé du supplice pour les juifs survivants, puisqu’elle s’étend sur près de 70 kilomètres et relie Bobrek et Auschwitz, le tout sous une température négative et un ravitaillement presque inexistant. Dans un ultime voyage en train, Simone Veil est finalement transportée au camp de Dora, puis de Bergen-Belsen, duquel elle sera libérée en avril 1945 par les Britanniques.
Un génocide comme le déclenchement de la lutte d’une vie
Simone Veil sort des camps. Forte de ténacité, elle ne se reconnaît en aucun cas dans une vie de femme au foyer, et décide conséquemment de travailler. Triomphant du concours de la magistrature en 1956, elle occupe par vocation un poste de haut fonctionnaire au sein du Ministère de la Justice. Défrayant la norme sociale de l’époque selon laquelle les femmes ne devaient en aucune façon travailler à l’extérieur, et encore moinsdans le domaine de la justice, elle se dresse en femme forte de son temps, faisant fi de toutes les obligations socialement prédéfinies. Néanmoins, lors d’une interview visible dans les archives de l’Institut national de l’audiovisuel (INA), Simone Veil tient des propos mesurés quant au féminisme qu’on lui prête :
« Oh féministe… Qu’est-ce qu’on entend par cela ? Je ne crois pas être féministe au sens de revendication des femmes, de vouloir qu’elles ont été les esclaves des hommes et qu’elles ont été très malheureuses. Je n’appréhende pas du tout le problème de cette façon. Mais je crois que les femmes peuvent apporter beaucoup dans notre société. Maintenant qu’elles ont le sentiment qu’elles ont ce rôle à jouer, elles doivent pouvoir épanouir leur personnalité comme elles le souhaitent. »
Ce message est plus fort qu’on ne pourrait le penser. A une période où les femmes sont divisées en deux catégories, puisque 40 % travaillent tandis que la majorité des femmes restent chez elles, Simone Veil tend à apaiser un climat révolutionnaire par la raison. Chaque femme a le devoir envers elle-même d’accomplir ce qu’elle estime être juste, indépendamment de la volonté de son mari. Bien que ce mode de pensée soit naturel aujourd’hui, l’exprimer publiquement en 1974 était un acte relativement progressiste. Par ailleurs, cette intervention lui permet de se dédouaner d’un extrémisme dans lequel elle ne se retrouve pas, et duquel elle ne souhaite pas porter la responsabilité.
La superposition de deux luttes ?
Si l’on a coutume d’assimiler le visage de Simone Veil à celui de la gauche dans sa globalité, peut-on la réduire à cela ? Elle fût effectivement une femme politique engagée pour les femmes, et non pour le féminisme, ainsi que pour une lutte commune à l’échelle de l’Union européenne (UE), et non pour l’UE en tant que telle, puisque cette dernière est un moyen pour la paix durable, et non pas une fin en soi. La frontière est fine entre ces divers contrastes. Pour autant, ne pas en saisir le sens peut mener à des erreurs d’interprétation, notamment concernant les oppositions entre Histoire et mémoires, ou encore entre neutralité et subjectivité. L’Histoire n’est pas toujours plaisante, et au même titre que nous ne pouvons modifier la Shoah en tant qu’elle s’est déjà déroulée, nous ne pouvons, de même, modifier les combats de Simone Veil dans une perspective du XXIe siècle. Membre du Mouvement républicain populaire (MRP), parti politique aujourd’hui disparu, il existait, au sein même de son parti, des divergences drastiques, notamment quant au droit à l’avortement.
Cette superposition ne fait d’ailleurs pas l’unanimité auprès des critiques. Tandis que des adjectifs tels que « bouleversant » (Ouest France) ou l’éloge de la « performance magistrale » d’Elsa Zylberstein (Public) sont visibles, d’autres critiques se font bien plus mitigées : « réalisation tape-à-l’œil avec ses envolées lyriques et sa tonalité hagiographique » (La Croix), « reconstitution larmoyante, en contradiction avec la pudeur et l’exigence de Simone Veil » (Les Échos). Qu’en pensez-vous ?
Doryann Lemoine
Sources :
- Film Simone, le voyage du siècle, 2022.
- Interview de Simone Veil par l’ORTF, 1974. https://www.facebook.com/watch/?v=10156420886298349
- Critiques Presse pour le film Simone, le voyage du siècle. https://www.allocine.fr/film/fichefilm-271339/critiques/presse/
Couverture : ©Affiche du film Simone