L’affaire Laetitia Toureaux : le mystère non élucidé de la ligne 8

Au printemps 1937, à Paris, une jeune femme prend le métro sur la ligne 8. Elle est retrouvée assassinée à la station suivante alors que personne ne se trouvait dans le train. Aucun témoin. Aucune trace de l’assassin. Comment cela a-t-il bien pu arriver ?

Le métro recèle d’histoires rocambolesques, plus folles les unes que les autres. Celle-ci pourrait en faire frémir plus d’un. L’année 1937 est une année révolutionnaire avec la diffusion des premières émissions quotidiennes télévisées mais c’est aussi une année remplie d’un mystère toujours entier, quatre-vingt-six ans après. En effet, le dimanche 16 mai 1937, à 18h30, une jeune femme nommée Laetitia Toureaux s’installe dans une rame de première classe de la ligne 8 du métro parisien. Sur le quai de la station de Porte-de-Charenton, elle est seule au moment du départ. Une minute plus tard, à la station suivante Porte Dorée, elle est retrouvée poignardée dans le cou avec un couteau enfoncé jusqu’à la garde. Les quatre passagers prêts à monter dans la rame, un médecin militaire et ses trois filles, n’en crurent pas leurs yeux en la découvrant tachée de sang, recroquevillée sur elle-même, presque méditative. Elle mourut pendant le trajet qui la menait à l’hôpital Saint-Antoine, dans l’ambulance.

Où est passé l’assassin ? 

Photographie en noir et blanc de la station Porte de Charentonn en 1933. Laeticia Toureaux l’empruntera quatre ans plus tard. © Cliché RATP

Certains stipulent que le meurtrier est monté avec la jeune femme en première classe dudit train. Mais ni le conducteur ni les poinçonneurs n’ont aperçu quelqu’un d’autre s’installer dans la rame numéro 382. Auraient-ils menti et seraient-ils des complices du criminel ? Nul ne le sait. D’autres ont théorisé l’idée qu’il se serait caché entre les wagons, car sur les cinq voitures du train, une seule est de première classe. Elle se trouve au milieu. Cela aurait pu laisser une marge de manœuvre au tueur d’agir en toute impunité sans être vu de quiconque. Mais cette théorie est délaissée, faute de témoin à la barre.

Un crime presque trop « parfait »

En 1937, la criminologie en est à ses débuts et ne peut analyser les marques d’ADN que l’on aurait potentiellement pu retrouver sur l’arme encore plantée à chaud dans le corps de la victime, alors inconsciente. En effet, ce n’est que bien plus tard, vers les années 2000, que les chercheurs ont pu décrypter l’ADN des victimes par la mise en place des méthodes industrielles avec des chaînes automatisées. Cela a permis de multiplier le rendement et de répondre aux demandes croissantes des services de police. 

Le professeur Christian di Scipio, invité de L’heure du Crime sur RTL, déclare que ce crime est le « mystère de la chambre jaune sur roulette ». En effet, c’est le même scénario invraisemblable qui se produit. Le roman de Gaston Leroux narre l’histoire du jeune journaliste Rouletabille qui se rend dans le château du professeur Stangerson, enquêtant sur le meurtre de Mathilde retrouvée trépassée dans la chambre peinte en jaune, volets et portes clos de l’intérieur. Crime de même irrationalité mais cette fois-ci, sur roulette. 

L’affaire Laetitia Toureaux, largement médiatisée, fait la une des journaux, notamment du Détective, le 27 mai 1937 avec comme titre aguicheur : « le fait divers le plus sensationnel – le roman policier le plus mystérieux de l’époque ».  

Une du magazine de faits divers, parue le 27 mai 1930

Une femme mystérieuse à la vie tumultueuse

Laetitia Toureaux est une jeune femme énigmatique à la vie bien remplie, digne d’un film de science-fiction. Elle possède un modeste emploi dans une firme industrielle de Saint-Ouen spécialisée dans la fabrication de cirage. Elle est décrite comme une ouvrière modèle par ses camarades d’usine, une femme tout à fait normal en apparence mais qui, en réalité, est chargée par le patronat d’espionner ses collègues. Néanmoins, son identité d’ouvrière soulève un certain soupçon, et a pu provoqué, éventuellement, la cause de son décès. Nul ne le sait. L’enquête menée par le commissaire Madin révèle que cette jeune femme, veuve, avait une vie quelque peu agitée – plusieurs vies pourrait-on dire. En effet, elle travaillait sous un faux nom dans une agence de police privée, son vrai nom étant Yollande Nourrissat. Après le décès de son mari, elle voisinait avec plusieurs amants, tous issus du milieu du contre-espionnage – officiers français qui plus est – tout en fréquentant discrètement et régulièrement l’ambassade d’Italie. Elle côtoyait les milieux fascistes italiens dans la capitale et connaissait un membre de la Cagoule, une organisation secrète d’action révolutionnaire nationale, de nature terroriste et d’extrême droite. Le manque de preuve à l’appui et la défaite de la France en 1940 classa cette affaire sans suite. 

Résurgences ultérieures 

Durant les années soixante, l’affaire resurgit à nouveau grâce à un témoignage d’un anonyme. En novembre 1962, un individu se disant médecin, se confie à la police anonymement, par lettre. Il prétend être l’auteur du meurtre de la jeune femme. Un crime qui aurait été motivé par « ma jalousie et mon amour passionnel que j’entretenais pour elle », aurait-il dit. Il accuse la police de ne pas avoir interrogé tous les voyageurs présents sur le quai et de l’avoir laissé partir. Par conséquent, le motif du crime ne serait pas un règlement de compte ni un meurtre gratuit mais bien un meurtre passionnel. Néanmoins, cet aveu était peut être un faux témoignage pour dissimuler un règlement de compte par un crime passionnel, afin de ne pas le lier à un acte politique. Car effectivement, le rôle de Laetitia Toureaux durant l’entre-deux-guerres a suscité de nombreuses spéculations à cause de ses potentielles positions fascistes, sous l’Italie de Mussolini, un allié d’Hitler. 

L’assassinat se déroula le jour de la Pentecôte, qui plus est un dimanche, connu pour avoir une fréquentation élevée. De ce fait, les voitures de seconde classe étaient remplies davantage qu’un trafic habituel. Cela contraste fortement avec la voiture de la première classe où se trouvait la jeune ouvrière d’origine italienne, qui était complètement vide. Cela peut peut-être expliquer la fuite mystérieuse du tueur introuvable. Il serait passé inaperçu dans la masse – si toutefois il y en avait eu une. De surcroît, cette lettre du mystérieux médecin ne convainquit pas la police judiciaire et Max Pernet, le directeur de la police judiciaire, décida de la classer sans suite et de ne pas rouvrir l’enquête faute de preuve. 

Un mystère qui demeurera … un mystère

Qui était donc réellement Laetitia Toureaux ? Quelle était sa véritable identité et sa véritable position ? Quel rôle a-t-elle vraiment joué durant l’entre-deux-guerres ? Quelles étaient ses véritables intentions dans cette histoire d’espionnage ? Pour qui travaillait-t-elle vraiment ? Qui est vraiment son assassin ? Le conducteur et les poinçonneurs étaient-ils complices du meurtrier ? A-t-elle vraiment été assassinée ? Autant de questions qui resteront sans réponse et qui animeront cette histoire, presque légendaire, du métropolitain parisien par des hypothèses plus farfelues les unes des autres. Premier crime du métropolitain parisien, et qui reste, à ce jour, le plus mystérieux d’entre tous…

Jessy Lemesle

Sources :

  • RTL
  • Wikipédia
  • Guide secret du métro, Didier Janssoone, Editions Ouest-France

Couverture : © Image par Maatkare de Pixabay

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