LA GROUPIE DU PIANISTE : Retour du mouvement qui chamboula les années 1970

Nous sommes à mi-chemin entre la fin des années 1960 et le début des années 1970. Le règne quasi-oligarchique des Beatles sur la musique s’essouffle petit à petit, avec l’annonce de leur dernier concert sur les toits et Led Zeppelin, nouvelle bombe musicale britannique, s’impose comme l’un des nouveaux noms les plus prolifiques du rock. A la fin de l’été 1969, la famille Manson s’attaque à la demeure de Sharon Tate mettant à la fois fin à l’insouciance du mouvement hippie et à l’âge d’or du cinéma hollywoodien. 

Au sein de cette confusion générale, alors que les dernières bribes de la décade Woodstock perdent de leur superbe, le rock s’institutionnalise et une nouvelle vague d’adoratrices, loin des enfants des fleurs, commence à prendre de plus en plus d’ampleur sur la scène musicale.

Cette période, c’est la métamorphose complète des liens autrefois égalitaires entre le fan et l’artiste, un passage progressif vers le modèle de la Rockstar érigée en dieu et la groupie qui l’observe, de l’autre côté du rideau.

Des années plus tard, cette esthétique de ladite groupie – ou alternativement de la « Rockstar Girlfriend », fait son retour sur TikTok avec des coupes mullet, l’utilisation de Layla d’Eric Clapton comme hymne, et des manteaux en fourrure tout droit sortis du Almost Famous de Cameron Crowe (1999), long-métrage qui retrace la première tournée états-unienne d’un groupe de rock fictif dans les années 1970.

Pour Sophie Wilson – The rockstar’s girlfriend is 2022’s latest problematic trend – c’est le mode de vie même de la groupie qui attire, l’insouciance hédoniste qui la pousse à faire la fête tous les soirs et qui nous semble méritée après les confinements dus au COVID. Pour d’autres, c’est le déferlement de la jeunesse, semblable à celui observé dans les années 1960, et une réclamation de liberté.

Mais qui est donc la groupie ? Et pourquoi s’y intéresser ?

BEATLEMANIA, les débuts du mouvement

Groupie (nom féminin, anglicisme): «Personne gravitant dans l’entourage des célébrités de la musique populaire comme la pop ou le rock» ; « Une groupie idolâtre un chanteur, un musicien ou un groupe au point de le suivre pendant ses tournées, d’assister à autant de ses apparitions publiques que possible, dans l’espoir de le rencontrer et d’engager avec lui une relation sexuelle ou sentimentale. » 

Evidemment, la figure emblématique de la groupie ne naît pas au début des années 1970. On peut en réalité remonter jusqu’à la Beatlemania ou l’euphorie Elvis Presley des années 1950 qui embrasse des filles au hasard dans son public : l’impression, donc, que depuis le début, elle était indissociable du personnage de la Rockstar, du musicien en pleine ascension. 

Pour autant, l’essor du mouvement vers la fin des années 1960 est impressionnant, avec plusieurs grands noms qui scandent l’histoire du rock: Miss Pamela Des Barres, Bebe Buell, Anita Pallenberg et Bianca Jagger, connues aujourd’hui pour avoir inspiré, côtoyé et forgé les images des Rockstars qu’elles accompagnaient.

En France, c’est Zouzou – dite la twisteuse, ancienne compagne de Brian Jones – membre fondateur des Rolling Stones – qui incarne cette vague, jusqu’à jouer le rôle d’un succube torturé, métaphore de l’adultère, dans le film d’Eric Rohmer : Chloé, l’après-midi (1972).

FOXEY LADY 

Des cheveux défaits, généralement volumineux et emmêlés, maquillage clownesque, sequins et robes à silhouette rectangulaire, presque masculine. A première vue, la groupie n’a rien d’une femme fatale.

Pourtant, son style est représentatif de son époque et de son train de vie. Les années 1970 pour le rock, ce sont les années des tournées en bus ou en avion (le Starship privatisé par Led Zeppelin puis les Stones) à travers les USA avec très peu de temps et d’espace pour tout emporter. Il faut donc se contenter du minimum. 

Ainsi, sur la plupart des photos de Miss P. (Pamela Des Barres), on la retrouve pieds nus sur l’herbe, démaquillée ou avec très peu d’eye-liner sur – et parfois en dessous – des paupières. Le style de la groupie clame donc haut et fort la liberté et la jeunesse de son ère, le climat chaud et surtout californien des concerts en plein air.

« Je ne mettais jamais rien en dessous (en parlant de robes à dentelle), j’étais toujours à moitié nue (rires). » Pamela des Barres, interview avec Devyn Crimson, 2019

Pour ces fans du rock, il s’agit aussi de s’inventer, d’aller dans les friperies et de trouver des pièces qui rappellent l’entre-deux-guerres des années 1920 et 1930, avec cette même silhouette garçonne qui plaît tant, les paillettes, la fourrure et le besoin d’être libre de ses mouvements au moment de faire la fête.

De ce fait, ces femmes oscillent entre le fatal et l’enfantin, à l’effigie du clip de « Foxey Lady » du Jimi Hendrix Experience, dans lequel Miss P. danse derrière le groupe dans une robe de velours bleu foncé – trouvée dans le placard de la grand-mère de son amie, des manières félines et un regard espiègle sur le faciès, un mélange inattendu d’audace et de somptueux dont on simule le hasard.

« Nous ne sommes pas des groupies. […] Nous sommes ici pour la musique. » Kate Hudson, Almost Famous (Crowe, 1999)

Dans Teenyboppers, Groupies and Other Grotesques, Norma Coates précise que la groupie a longtemps été la seule façon de percevoir les femmes dans le rock, une manière, selon elle, de les rendre étrangères à cette musique qu’elles aiment et à sa compréhension objective. 

Dès son invention, le terme est péjoratif et strictement réservé à la gente féminine qu’on stigmatise fortement lors des concerts. Pourtant, on attribue la naissance du rock à Sister Rosetta Tharpe, une femme afro-américaine. 

Il serait donc injuste de ne résumer la vie de ces femmes, accompagnant les Rockstars sur la route qu’à leur attraction physique envers ceux-ci, à leur relations avec eux et au rôle de muses qu’elles ont pu occuper.

Jouxtant leur statut de compagne, les groupies ont en réalité eu des carrières très vastes : Zouzou a, par exemple, été chanteuse en plus de sa carrière d’actrice prolifique. En ce qui concerne Pamela Des Barres, elle a longtemps été la styliste de Led Zeppelin avant de faire partie d’un groupe exclusivement composé de groupies. En effet, les GTO (Girls Together Outrageously), idée originelle de Frank Zappa, sortent Permanent Damage en 1969, album studio sur lequel on retrouvera notamment Jeff Beck et Rod Stewart. 

Enfin, avec ses mémoires, I’m With the Band: confessions d’une groupie (1987),  Miss P.  réaffirme son rôle de documentaliste : être une groupie, c’est avoir vécu l’âge d’or du rock de l’intérieur, en avoir perçu les failles et les principales icônes en dehors du cadre artistique, à une époque où tout le monde réfute et se méfie du journalisme. 

Bien plus que de simples fans, les groupies non seulement forgent des carrières médiatiques et participent activement à la création des œuvres qu’aujourd’hui nous chérissons tant, mais nous embarquent aussi dans une machine temporelle vers une époque révolue dont elles nous expliquent les codes et les valeurs afin de mieux en comprendre la production artistique.

Meriem Ben Mimoun

Sources :

https://www.lalanguefrancaise.com/dictionnaire/definition/groupie

https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/1350508416689095

Norma Oates, Teenyboppers, Groupies and Other Grotesques:  https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1533-1598.2003.tb00115.x 

Peek in Pamela Des Barres Closet, a groupie’s wardrobe – Devyn Crimson: https://www.youtube.com/watch?v=E2IJpyjllXA 

Almost Famous, groupie part: https://www.youtube.com/watch?v=t17UZbiBSXU 

My “Foxy Lady” film debut with the Jimi Hendrix experience – Pamela Des Barres: https://www.youtube.com/watch?v=2a7GBBPmWnk 

Sophie Wilson, The rockstar’s girlfriend is 2022’s latest problematic trend: https://theface.com/style/rockstar-girlfriend-aesthetic-tiktok-fashion-style-alexa-chung-kate-moss-suki-waterhouse-arctic-monkeys 

I’m With the Band – Pamela Des Barres: https://books.google.com/books/about/I_m_With_the_Band.html?id=dLFyDQAAQBAJ 

Image de couverture : © Citation tirée du film Almost Famous (1999) – Cameron Crowe – Alamy

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