Vers une mode plus (éco)responsable ? (3 / 4)

Le marché de la seconde main commence sérieusement à peser dans l’industrie textile, notamment grâce aux exigences des nouvelles générations – les millenials -, qui sont les grands consommateurs de demain. Même si les prix particulièrement bas sont souvent la première motivation des jeunes à se tourner vers l’habillement de seconde main, les questions environnementales et éthiques sont aussi au cœur de leurs préoccupations. Cela représente alors un danger pour le marché de la mode éphémère, mais force aussi le monde de la mode, et en particulier celui du luxe, à s’intéresser à cette euphorie de l’occasion qui tend à se pérenniser.

La seconde main fait de l’ombre à la fast fashion 

L’essor du marché des vêtements de seconde main a-t-il une responsabilité dans le déclin de la mode éphémère ? C’est la question que l’on peut légitimement se poser au vu des chiffres du marché de l’occasion. 

Un récent rapport réalisé par ThredUp et s’appuyant sur les données de GlobalData estime que le marché de la seconde main dans le secteur de l’habillement devrait valoir environ 79 milliards d’euros d’ici 2030, en sachant qu’il vaut actuellement plus de 40 milliards d’euros. A l’inverse, le marché de la fast fashion ne vaudrait quant à lui que 38 milliards d’euros d’ici 2030. La banque d’investissements UBS indique même dans un rapport destiné à ses clients, et repris par le site Ecotextile, que les grandes sociétés du secteur s’apprêtent à voir leur chiffre d’affaires baisser. Elle prévoit une chute de leur profit de 10 à 30% dans les cinq à dix prochaines années. En cause ? L’intérêt grandissant des acheteurs pour le développement durable, et leur volonté d’agir à leur échelle.

On serait donc à l’aube du déclin des chaînes de fast fashion, déclin qui est aussi à mettre sur le compte de la crise du Covid qui a poussé à la fermeture des commerces, et dont les confinements ont entraîné de nombreuses réflexions et remises en question chez les consommateurs de prêt-à-porter. Les leaders du marché, H&M et Inditex (regroupant les enseignes Zara, Bershka, Stradivarius…), ont tous deux vu leur chiffre d’affaires baisser pendant cette période : une chute de 21% au premier trimestre de 2021 pour H&M, et de 28% fin 2020 pour Inditex. 

Cependant, nombreuses sont les marques qui ont déjà pris leurs dispositions pour redorer leur image et séduire des acheteurs plus exigeants, en se tournant notamment vers une mode plus éthique et durable. Certaines ont même lancé leur propre plateforme de revente afin de s’insérer dans l’économie circulaire, à l’image du géant chinois de l’ultra fast fashion Shein avec Shein Exchange, ou encore Pre-Owned, lancée le 3 novembre 2022 par l’enseigne espagnole Zara. 

Sur le papier, la démarche est séduisante, mais venons-en aux faits. Malheureusement, il est davantage question de stratégies de communication ciblées, qui permettent aux marques d’afficher un pseudo engagement pour l’écologie plutôt qu’une réelle volonté de faire bouger les lignes. Ce procédé de marketing nommé greenwashing est de plus en plus dénoncé. A titre d’exemple, un documentaire diffusé le jour de l’annonce du lancement de Shein Exchange en Angleterre révèle les conditions de travail désastreuses des ouvriers dans les usines partenaires de Shein, ces derniers étant surexploités et largement sous payés.

La mode fait peau neuve en se mettant à la seconde main ? 

Les acteurs de la mode sont toutefois conscients des enjeux qui se jouent autour de la seconde main, et certains voient même dans ce nouveau mode de consommation l’avenir de la mode. 

Les petits créateurs n’hésitent d’ailleurs pas à redéfinir les codes de ce milieu parfois rigide en faisant de la seconde main le point de départ de leurs collections.

« Tous les pseudo-tabous autour de la mode d’occasion ont sauté » (Loïc Prigent, dans un entretien pour La Dépêche)

Une des pratiques courantes consiste à faire de l’upcycling : on part de chutes de tissus ou de vêtements qui ne servent plus pour en créer de nouveaux. C’est ainsi que procède la marque tendance Marine Serre (lauréate du prix LVMH en 2017). Le mot d’ordre de la maison est « régénérer », que la marque définit directement sur son site comme « une pratique consistant à utiliser des stocks morts, des matériaux vintage et en fin de vie ou des vêtements finis comme base adaptable pour créer de nouveaux produits qui se distinguent de leur ancien aspect ». Le duo mère-fille de MaisonCléo affiche également son engagement en ayant recours aux mêmes procédés : « Les tissus sont récupérés de maisons de Couture, de créateurs, d’usines ou sont vintage, ce qui rend les pièces limitées selon la disponibilité du tissu » peut-on lire en première page sur leur site. Le créateur Kevin Germanier fait quant à lui le choix de l’upcycling après avoir découvert la sombre réalité de la fast fashion lors d’un voyage en Chine (et aussi pour des raisons financières), tandis que Vaillant Studio crée sa première collection grâce à un lot d’une centaine de hauts en dentelle trouvés sur une plateforme de revente de vêtements. 

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© ELLE, MaisonCléoActeurs-d-une-mode-responsable-le-cas-MaisonCleo.jpg

Ces marques privilégient la qualité sur la quantité et font de leur engagement – qui passe par le recours au marché de la seconde main – une véritable force. 

Surproduction et surconsommation : le problème persiste…

Néanmoins, un problème persiste : celui de la surproduction et de la surconsommation. Bien que la croissance du marché de la seconde main soit à première vue une bonne nouvelle pour la planète (et pour nos portefeuilles), le succès des plateformes de revente tend à entretenir les habitudes de surconsommation des acheteurs, comme l’explique Eloïse Moigno, fondatrice du label de mode éthique SloWeAre lors d’un entretien avec Libération

« Les plateformes comme Vinted ou Vestiaire collective (…) poussent les consommateurs vers des habitudes d’achat propres au marché de la fast-fashion : on achète énormément de vêtements pas chers en sachant que si on ne les porte pas, on va pouvoir les revendre. Ces applications stimulent, chez le consommateur, le côté impulsif et immédiat vis-à-vis de l’achat. »

Ces nouveaux acteurs de la mode proposent en continu des milliers de vêtements et d’accessoires à des prix cassés, et la démocratisation de cette pratique tend même, d’une certaine manière, à déresponsabiliser les consommateurs, qui estiment avoir fait leur part en consommant de façon éthique. 

Eloïse Moigno ajoute qu’il en est de même pour les enseignes de prêt-à-porter qui se mettent à la seconde main : « Même si elles font des efforts pour le client qui cherche à mieux consommer (…), elles ne réduisent pas les volumes, ne s’attachent pas à la traçabilité, à trouver de meilleurs fournisseurs ou même à produire des vêtements qui vont durer plus longtemps. »

L’occasion de passer la seconde en termes d’engagement environnemental

Ainsi, le marché de la seconde main est indéniablement en train de marquer son territoire sur le vaste empire de l’industrie de la mode. Ce n’est pas pour autant qu’il signera l’arrêt de mort de la fast fashion, ou qu’il deviendra le marché dominant de l’industrie textile d’ici quelques années, mais on ne peut plus passer à côté. 

Cependant, son succès auprès des consommateurs – en particulier la Génération Z et les millenials – témoigne d’un changement dans les habitudes de consommation des acheteurs, plus soucieux des enjeux écologiques et économiques, surtout dans un contexte de crise généralisée et d’une montée de l’inflation. 

La seconde main inspire du même coup les grands noms de la mode, qui remettent à leur tour en question leurs modes de production. 

Une réserve est toutefois à souligner : l’essor des plateformes de revente est aussi responsable d’un nouveau mode de surconsommation, ce qui tend à décrédibiliser la dimension écoresponsable à l’origine de l’initiative. 

Pour lutter contre cette nouvelle dérive, des organisations comme Zéro Waste France tentent de sensibiliser le grand public sur leur mode de consommation en matière d’habillement tout en menant des actions concrètes.

Jessy Lemesle

Couverture : © Image par JamesDeMers de Pixabay

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