Le meilleur des mondes : dystopie ou prophétie ?

Une dictature pharmaceutique comme nouveau monde

Avant la Shoah que tous les manuels d’histoire décrivent avec précision, la crainte d’un « nouveau monde » hantait déjà les consciences. En 1932, Aldous Huxley a rédigé un roman sur la base de visions qu’il aurait eues. Ce roman s’intitule Le meilleur des mondes, comme un pied de nez ironique de la part de l’auteur qui alerte le lecteur sur lui-même et sa condition. L’humain serait-il voué à la déchéance ?

« Communauté, Identité, Stabilité »

Le postulat central du nouveau monde conté par Huxley tient en cette devise. Les individus dépeints par l’écrivain britannique sont dépossédés de leur propre existence. Ils sont enfermés dans des castes, sans possibilité de se révolter. On conditionne l’Homme à se satisfaire de sa condition quelle qu’elle soit, et plus encore à l’aimer. Que l’on soit Epsilon (la caste la plus basse) ou Alpha (la caste la plus prestigieuse), on est systématiquement paramétré par une industrie chimique en développement exponentiel.

Comme dans les dictatures que la réalité nous donne à voir, les dirigeants emploient l’éducation comme moyen d’endoctrinement de la société. Veut-on une société parfaite où tout le monde est heureux ? Aldous Huxley veut créer Dieu dans sa dimension chrétienne et ouverte, en ce que toutes les religions recherchent le même but : unir les hommes dans une perspective communautaire, et non communautariste ni sectaire. Huxley reste donc attaché à la tradition catholique, tout en demeurant ouvert à d’autres. « Si on est romancier, on doit forcément s’intéresser à la psychologie, à la physiologie, à l’anatomie. » (INA, 1961).

Psychologie de l’Homme, psychologie de la religion, et psychologie de l’Homme dans la religion sont pour Huxley l’occasion d’explorer ce qui relie la communauté humaine de manière quasiment uniforme. Religion vient en effet du latin religare, signifiant « lier » ou « relier ». L’auteur admet néanmoins ne pas s’intéresser à « la psychologie pure […] car rien n’est pur dans ce monde ». Selon lui, « l’humain habite simultanément plusieurs mondes ». Françoise B. Todorovitch, pour citer l’Éternité retrouvée : « Ce que l’on est dépend de trois facteurs : ce dont on a hérité, ce que votre milieu a fait de vous, ce que vous avez jugé bon de faire de votre milieu et de votre héritage. ». L’auteure de Aldous Huxley revient ainsi sur les fondations dont l’écrivain britannique a usé pour bâtir son œuvre.

Un monde « idéal » ?

Comme le dit Juliette Arnaud au micro de France Inter, « Le meilleur des mondes » d’après Huxley, c’est « pépère ». Dit comme cela, on peut reprocher à la chroniqueuse un manque de rigueur. Cependant, à ce qualificatif peu académique sied un aspect réaliste. La sexualité est débridée, presque enseignée à l’école de manière pratique. On retiendra effectivement la description d’enfants nus jouant à des jeux érotiques dans la cour de récréation. Le sexe est donc dépeint comme un instrument récréatif, nécessaire à la stabilité. Il ne sert plus à fonder une famille. D’ailleurs, si on emploie le sexe dans cette visée précise, on parle de « vieux sexe ».

La drogue est normalisée, et même popularisée. Le « soma » est une drogue de synthèse imaginée par Huxley, présentée dans le roman tel un simple médicament. On encourage la prise de soma en tant qu’elle aurait un usage salvateur. A forte dose, cette substance plonge celui qui l’ingère dans un sommeil paradisiaque. Même dans la plus profonde mélancolie, le soma semble être porteur de vertus presque miraculeuses. Par des biais détournés, le gouvernement trouve subrepticement le moyen d’asservir le peuple, de le combler de joie alors même qu’il est fondamentalement malheureux. La population est dans un état second, comme anesthésiée, non pas des problèmes de la vie, mais de l’existence elle-même.

Retour au meilleur des mondes

En 1958, Aldous Huxley revient sur Le meilleur des mondes dans un court essai. Nous croyions voir une suite du roman prophétique, nous en avons un retour écrit de la personne l’ayant rédigé. Cela est d’autant plus intéressant que l’auteur s’est aperçu que le monde dans lequel nous vivons n’est pas si différent de celui qu’il a bâti. Après l’avènement de dictatures, de la bombe nucléaire mais aussi de l’explosion démographique qui a suivi, on s’aperçoit que les visions d’Huxley ou d’Orwell sont plus proches de la réalité que ce que nous aurions pu soupçonner.

Avant toute chose, cet essai confirme que les prédictions de l’écrivain ont de quoi inquiéter. A cette inquiétude succède le plus souvent la censure, faisant office de dernier recours face à une crainte incontrôlable d’un monde susceptible de devenir le nôtre. L’Irlande censure le livre pour outrage à la famille et à la religion. L’Inde va jusqu’à qualifier Huxley de « pornographe ». Ironique, presque contre-productif, de priver le peuple de lire Le meilleur des mondes, alors même qu’il met en garde par anticipation face à la privation de libertés.

Doryann Lemoine

Sources :

http://www.buzz-litteraire.com/20061029612-le-meilleur-des-mondes-d-aldous-huxley/#:~:text=La%20devise%20dans%20Le%20meilleur,de%20toute%20envie%20de%20contester.

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-nuits-de-france-culture/aldous-huxley-le-prophete-oublie-1995355

https://www.linternaute.com/livre/roman-litterature/1022382-15-classiques-qui-ont-ete-censures-attention-livres-dangereux/1022389-le-meilleur-des-mondes#:~:text=Pourquoi%20la%20censure%20%3F,’%C3%AAtre%20un%20%22pornographe%22.

Image : © Domaine Public

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