The Crucible d’Arthur Miller : L’hystérie féminine 

Jouée pour la première fois sur scène en 1953 à New-York dans le contexte de la «Peur rouge», The Crucible revient sur l’épisode des procès des sorcières de Salem à la fin du XVIIe siècle. Cette pièce de théâtre tragique est indissociable de l’atmosphère propice à la profonde méfiance vis-à-vis des partisans communistes. Les accusations du sénateur McCarthy envers de potentiels espions soviétiques au sein du pays se multiplient et de nombreux procès ont lieu. En écrivant la pièce, Arthur Miller forme une allégorie en établissant un parallèle avec une période de l’histoire du pays où l’atmosphère de chasse et de paranoïa était palpable.

Une fiction historique dénonciatrice 

L’histoire des sorcières de Salem peut être lue à travers plusieurs perspectives, notamment celle de l’hystérie collective. Pris de panique et de peur, les habitants du village de la colonie puritaine se mettent à accuser leurs voisins, leurs amis et même des membres de leur famille de pratiquer la sorcellerie. Arthur Miller choisit de reprendre ces éléments de la réalité et écrit une pièce qu’il serait possible de qualifier de fiction historique. L’auteur prend néanmoins le soin d’inclure une note concernant l’exactitude historique en tant que préambule de la version roman du texte théâtral. En effet, bien qu’il utilise les noms des véritables protagonistes et met en scène le déroulement des procès, Miller dit ne pas souhaiter que son œuvre soit lue comme une véritable dépiction de la vérité historique et encourage ses lecteurs à faire une claire distinction entre les deux histoires : 

« Cette pièce n’est pas une représentation historique telle que l’envisage l’historien académique. Pour souligner l’aspect dramatique, plusieurs personnages ont été fusionnés en un seul, le nombre de jeunes filles impliquées dans les accusations a été réduit, l’âge d’Abigail a été modifié et bien qu’il y ait eu plusieurs juges d’une autorité quasi égale, je les ai tous représentés par Hathorne et Danforth. Cependant, je pense que le lecteur trouvera ici l’essence même de l’un des chapitres les plus étranges et terrifiants de l’histoire humaine. Le destin de chaque personnage correspond exactement à celui de son modèle historique [ … ] .» (Traduction de la “Note on Historical Accuracy”)

L’impact de la religion et des stéréotypes sur la perception des femmes

Outre l’aspect de l’hystérie collective, Miller aborde l’hystérie de ses personnages féminins à l’aune de leur santé mentale, résultant à leur stigmatisation au sein du village. D’abord, le contexte tendu pousse les habitants de Salem à chercher un bouc-émissaire. Les femmes deviennent les principales cibles, tout particulièrement celles qui ne sont pas mariées ou n’ont pas d’enfants, car jugées différentes de la norme. Dans la pièce de Miller, Abigail Williams est la première à être pointée du doigt et arrêtée avec ses amies Sarah Good et Sarah Osborne. Son personnage est caractérisé par son attirance pour John Proctor, fermier et restaurateur ; Abigail ne peut pas exprimer sa sexualité et est réprimée car les deux protagonistes ne sont pas mariés, et Proctor a déjà une femme. 

L’idée de l’existence d’une hystérie féminine est largement associée aux changements hormonaux et aux événements biologiques de la vie d’une femme, comme la puberté, la grossesse puis la ménopause. La femme ménopausée vit de grands changements physiques et parfois psychologiques pendant cette transition et est parfois qualifiée d’irrationnelle, voire d’aliénée, tant au XVIIe siècle qu’au temps de l’auteur. Il est donc possible que Miller ait donc volontairement utilisé des personnages féminins ménopausés pour illustrer l’aliénation mentale, tels que Tituba ou Rebecca Nurse pour ne citer qu’elles. 

Une autre raison pouvant expliquer la stigmatisation des personnages féminins s’illustre à travers leur utilité à la société patriarcale du Massachussets des années 1690. Par exemple, Elizabeth Proctor est épargnée lors de son procès car elle est enceinte. Même si son mari est pendu et qu’elle devient veuve, la jeune femme est toujours en âge de procréer. Au contraire, Tituba a environ quarante ans et Rebecca Ruse soixante-douze, elles ne peuvent plus enfanter et se retrouvent donc au bas de la hiérarchie sociale du village. Cela est d’autant plus vrai dans le cas de Tituba qui est une esclave noire et est inquiétée pour avoir prétendument tenu des rituels dans les bois avec des jeunes femmes nues en buvant du sang. Son personnage est accusé d’avoir amené les jeunes filles vers le diable. Dans les croyances puritaines, la forêt est perçue comme l’antre du diable et l’endroit où les sorcières se réunissent une fois la nuit tombée.

La religion joue un rôle central dans la condamnation des personnages féminins de Miller. Le puritanisme condamne toute forme de plaisir physique, social comme la danse. Le code moral strict condamne l’adultère qui est considéré comme une offense capitale, d’où les problèmes et dilemmes rencontrés par le personnage d’Abigail Williams, dont l’oncle est le Révérend Samuel Parris. La société de la Nouvelle-Angleterre perpétue des croyances selon lesquelles les femmes sont plus à même de pécher que les hommes car elles seraient le genre le plus visé par le diable. Il est cependant important de rappeler que lors des procès historiques, des hommes comme des femmes sont arrêtés, jugés puis exécutés. Néanmoins, comme l’explique l’historienne Elizabeth Reis, 78

La dépiction des personnages féminins par Miller peut faire l’objet de critiques. La mise en scène de femmes hystériques peut être libératrice lorsqu’elles sont réappropriées par des auteur·e·s féministes dont le but est de critiquer un système oppressant. Dans le cas de Miller, cela est débattable car sa volonté principale n’est pas de dénoncer une société du passé ayant des visions négatives des différentes expressions de la féminité, mais avant tout d’établir un parallèle entre les accusées et les potentiels communistes de son époque. Arthur Miller, lui-même suspecté d’être un ennemi du gouvernement, mis sur liste noire et interrogé semble avoir écrit The Crucible en étant motivé par un esprit de revanche.

Allison Caudron

Sources : REIS Elizabeth, Damned Women: Sinners and Witches in Puritan New England, Cornell University Press, 1997.

https://jenikirbyhistory.getarchive.net/media/televisiespel-de-vuurproef-van-arthur-miller-de-4790a2 

© : Cliché de l’émission télévisée Le procès de feu, inspiré de The Crucible, 1961, Nationaal Archief, La Haye.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *