Avez-vous remarqué ces passants, vêtus de pulls représentant La Nuit Étoilée (1889) ou encore Vase japonais avec Roses et Anémones (1890) du peintre néerlandais Vincent Van Gogh ? Figurez-vous que ce dernier, reconnu a posteriori comme l’un des plus grands artistes de tous les temps, n’aurait jamais pu espérer un tel succès. Qui eut crû, après une vie faite de misère, d’échecs et surtout de profonds troubles mentaux, que ses œuvres seraient actuellement exploitées par de grandes marques de l’industrie de la mode ?
L’initiation artistique
Avant de devenir lui-même artiste, Van Gogh est apprenti au sein d’une galerie marchande où il découvre l’avant-garde impressionniste. Il est ensuite licencié car il refuse de concevoir l’art comme une simple marchandise. En octobre 1880, il s’inscrit à l’Académie royale des Beaux-Arts où il prend des cours de dessin et de peinture. Sensible à ce domaine auquel il fut initié dans son enfance par sa gouvernante, il se forme en autodidacte grâce à l’entourage qu’il se crée dans le milieu pictural. Suite à l’étude de toutes sortes de techniques artistiques, il se consacre entièrement à son art malgré une vie parsemée de malheurs et une santé mentale très instable.
Les crises de démence et l’oreille coupée
En février 1888, Van Gogh s’installe à Arles et s’adonne à son œuvre. Nourrissant un projet de communauté artistique appelé l’Atelier du Midi, il propose à l’impressionniste Paul Gauguin de le rejoindre dans son projet. Si les débuts de la cohabitation sont marqués par l’enthousiasme d’une collaboration naissante, leur relation ne tarde pas à se dégrader. Un soir de décembre 1888, Van Gogh menace Gauguin avec un rasoir à la main. Après la fuite de ce dernier, Van Gogh, pris d’une crise de démence, se mutile l’oreille gauche avant de l’emballer pour l’apporter à Gabrielle Berlatier, une amie prostituée. Gauguin confiera plus tard qu’il « n’arrive plus à composer avec le caractère difficile de cet homme » et réduira son art à des « grosses taches de couleurs sur les toiles », reprochant par la même occasion au peintre un manque de productivité. Une lettre du docteur Félix Rey, qui s’est occupé de Van Gogh suite à cet événement, révèle que toute l’oreille aurait été tranchée et pas seulement le lobe, traduisant une profonde et sauvage perte de contrôle lors de ses crises de démences. Après une première hospitalisation au lendemain de l’incident de mutilation, Van Gogh retourne en asile psychiatrique en mai 1889 où il séjourne une année sans interrompre pour autant la peinture. De cet internement naîtront La sieste (1889) ou encore La Nuit étoilée (1889).
Les derniers moments de son existence
Reçu en mai 1890 chez le docteur Gachet, ami de Renoir et Manet, à Auvers-sur-Oise, Van Gogh voue son temps tout entier à ses toiles. Toutefois, cet élan d’espoir ne lui donne pas suffisamment de courage puisque le 27 juillet 1890, il tente de mettre fin à ses jours dans un champ de blé et meurt deux jours plus tard, à l’âge de 37 ans. Les violentes crises de démences auraient eu raison de l’artiste qui, dans un état de fatigue et de tristesse extrême, en était même arrivé à avaler ses tubes de peinture. Souffrant de dénutrition, il consommait de l’absinthe (ensemble spiritueux provoquant de graves dégâts cérébraux) en grande quantité et fumait de l’opium. À cela s’ajoutait une situation de précarité aggravée car son frère Theodorus entendait interrompre la pension qu’il lui versait chaque mois et car Van Gogh ne parvenait toujours pas à vendre de toiles depuis le début de sa carrière.
Les hypothèses de la recherche moderne
Récemment, un groupe de chercheurs néerlandais spécialisé en neuropsychiatrie, sur la base des échanges épistolaires de Van Gogh avec Theodorus et de dossiers médicaux existants, a publié une étude dans la revue International Journal of Bipolar Disorders afin d’émettre des hypothèses sur les causes de dégradation de sa santé mentale. La possibilité de la schizophrénie a été écartée par manque de symptômes apparents. En revanche, des crises hallucinatoires causées par deux sevrages forcés et une sévère dépression, sont soupçonnées. Les chercheurs supposent également des épisodes épileptiques liés à la consommation d’absinthe, crises que Van Gogh lui-même appelait « tempête de l’intérieur ». Enfin, des problèmes ophtalmologiques seraient à l’origine de la perception de halos colorés autour de sources lumineuses, expliquant par la même occasion certains aspects de sa peinture.
La naissance d’un art à la croisée de la folie
Cette démence dont il fut victime se révéla pourtant créatrice d’un art unique. Lors de son séjour à Arles en février 1888, l’essence de son œuvre se concentre dans la profusion de couleurs, en particulier le jaune. La vue du ciel nocturne de la fenêtre de sa chambre en asile psychiatrique lui inspirera l’emblématique Nuit Étoilée, parsemée d’une multitude de spirales, d’étoiles et de lumières traduisant les tourbillons et les tourments de son âme. La fin de sa vie coïncide avec un besoin frénétique de peindre sans repos : l’artiste produit les œuvres les plus colorées de sa carrière, apportant des touches épaisses et formes ondulantes à ses peintures. Et s’il n’est parvenu à vendre qu’un seul tableau en toute une vie, Van Gogh n’a pas produit moins de 900 tableaux et 1 000 dessins en huit ans seulement.
Ce génie, reconnu a posteriori, est l’exemple même d’une folie créatrice, de la folie comme sortie des normes. Il est fort probable que l’artiste ait souffert de cette marginalité, d’un certain manque d’empathie de la part de ses congénères, l’histoire nous montre que cet engouffrement dans la noirceur de ses crises est à l’origine des plus grandes œuvres de l’histoire de l’art. Il est enfin temps de questionner cette folie si précieuse et si diabolisée.
Ahlem Benamar
Sources :
© image : La Nuit étoilée, Vincent Van Gogh, 1889 (Wikimedia Commons)